L'UNEBÉVUE N°38 : Penser sémiotiquement
ISBN : 978-2-914596-62-6, ISSN : 1168-148X , 256 pages, 22€.
♦ Comité nomade : Marie Jardin, Xavier Leconte, Anne-Marie Vanhove.
♦ unebeweb 38 : des textes, des documents, des vidéos...
♦ À la rencontre de l'univers. K Barad Tome 2 Diffractions L’unebévue-éditeur, 2022. Supplément au N°38
Sommaire
Une drogue nommée tradition. Sherman Alexie
Traduit par Nicolas Plachinski
– Pourquoi il est comme ça ? demanda Junior. Pourquoi faut-il toujours qu’il raconte des trucs bizarres ? Bordel, il a même pas besoin de prendre des drogues.
– Certains disent qu’on l’a lâché et qu’il est tombé sur la tête quand il était petit, quelques Anciens disent qu’il est magique. – Qu’est-ce que tu penses toi ? – Je pense qu’il est tombé sur la tête et je pense qu’il est magique
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La forêt pensante. Vrilles du penser sylvestre. Eduardo Kohn, Daniel Steegmann Mangrané
Traduit par Xavier Leconte
Le penser sylvestre, la sorte de penser que fabriquent les forêts, la sorte de penser qui nous relie au reste de la vie, est essentiellement une forme imagiste (imagistic) de pensée. Souvent, vous ne vous demandez pas si un esprit est réel, vous vous demandez comment les gens le comprennent comme étant réel. Ce sont deux questions très dif- férentes. Dans cette veine le titre de mon livre aurait du être « Comment les Runa pen- sent les forêts », et non pas « Comment pensent les forêts ». Dans mon travail il est très important d’essayer de parvenir à une certaine fermeture conceptuelle. Penser sémiotiquement à propos de la pensée sylvestre m’aide à comprendre les choses d’une nouvelle manière. Je peux parler en termes très précis des propriétés sémiotiques des choses et je peux travailler avec ces propriétés.
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Le champignon matsutake et son monde dévasté :
diversité contaminées et collaborations interspécifiques du vivant. Anne-Marie Vanhove
Quand Hiroshima a été détruit par une bombe atomique en 1945, la première chose vivante à émerger du paysage soufflé fut le champignon matsutake. L’indétermination joue un rôle essentiel dans la diversité contaminée. Raconter des histoires est une méthode qui bouscule, et pourquoi ne serait-ce pas une science à ajouter au panel de la connaissance ? Cette science aurait comme objet de recherche la diversité contaminée, son unité de base serait la rencontre indéterminée qui uti- lise l’ethnographie et l’histoire naturelle. Ces histoires ne peuvent pas être résumées, elles ne sont pas scalables.
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Le bel Antonio, un queer dans son siècle. Marie Jardin
La déclaration publique de sexe pour Alfio, le père du Bel Antonio, n’a plus que le bordel pour relever sa propre déroute, qui passe par son fils dont le mariage annulé a fonctionné comme déclaration publique d’impuissance. On va assister à une preuve sui- cidaire de virilité pour relever la fierté du nom. Sacrifice des pères et des fils, Pasolini, auteur du scénario, est particulièrement sensible à cette question. Mettant en valeur les analyses de Pasolini, Deleuze écrit « qu’il est bon en effet que le personnage soit névrosé pour mieux marquer la naissance difficile d’un sujet dans le monde ». Le héros est aux prises avec une inhibition et non un défaut physique, chance filmique d’après Pasolini. Un pouvoir ne pas pouvoir ne parvient pas à trouver un régime de signes et d’intensités qui lui donnerait existence autre qu’au négatif, et, éventuellement, donnerait une autre version à « l’inhibition » nommée par Pasolini. Se produirait-il une forme de contingence comme ligne de fuite au dispositif de sexualité ? Antonio, jusqu’au bout, maintient le trouble obscur.
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Le visage est une politique. Françoise Jandrot
Désormais la sécurité est au-dessus des lois, et notre visage est devenu un faciès. Cependant, pour toutes les situations de mobilité (lorsqu’une personne marche dans la rue par exemple), l’efficacité des techniques de reconnaissance faciale est très limitée. Car les capteurs sont vite en défaut par de nombreuses variations telles que la rotation du visage, son expression – le visage comportant quarante muscles, on imagine le nom- bre de combinatoires liées à leur action simultanée ou non – l’éclairage, la pilosité, le port d’un chapeau ou de lunettes, le maquillage, etc. Dans de tels cas, on observe des taux d’erreurs qui atteignent souvent 100%. La production des visages excède les frontières des héritages génétiques familiaux, mais elle n’échappe pas, comme toute production du vivant, à l’ordre des agencements concrets de sémiotisation des pouvoirs qui ont besoin de cette production sociale. Le visage est une politique.
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Biopsy. Sylviane Lecoeuvre
Mme C. revient avec les clichés. Moi : « – Je peux vous voir 3 mn ? » Mme C. : « – Euh, enfin 2 mn seulement ». Je lui dis que je n’ai oublié aucune de ses paroles prononcées pendant la biopsie. En fait, ce que je garde pour moi c’est que toutes ses paroles étaient très désincarnées. Mme C : « – En fait, nous sommes coachés par un hypnotiseur et on suit des cours de PNL. On peut quand même pas faire n’importe quoi ou dire n’importe quoi quand on a des choses désagréables à annoncer à quelqu’un ». Je pars et je me demande encore aujourd’hui quelle serait la bonne traduction en PNL pour : « Vous avez un cancer ».
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Les communs, un défi à l'imagination des juristes. Sylviane Lecoeuvre
Il n’a échappé à personne que le retour présumé du ou des communs occupe depuis deux décennies au moins le devant de la scène médiatique et qu’il est devenu un sujet de débats transdisciplinaires engageant aussi bien les économistes, les sociologues que les philosophes, les historiens ou les anthropologues. Mais la question posée par ce « retour » des communs à la discipline et à la pratique du droit est autrement complexe. Il devient désormais clair que le droit moderne, imprégné par l’ontologie naturaliste qui domine la représentation occidentale du monde, fait maintenant défaut lorsqu’il s’agit d’articuler de façon pertinente le droit formel aux exigences que requiert l’existence des communs.
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Des jeunes gens dansent au dessus d'un volcan.
Une version décolonisée des Indes Galantes de Rameau. Ninette Succab-Glissant
Fidèle à l’esprit de Rameau qui voulait introduire dans ses opéras des évènements contemporains, Clément Cogitore transpose la danse du Grand Calumet de la Paix sur une scène de danses urbaines décapantes avec le « krump», culture de la rue, qui de la sorte vient mettre en lumière les enjeux politiques de l’opéra-ballet de Rameau et du texte du librettiste Fuzelier. La puissance d’évocation de la partition peut raconter le monde à travers la ville avec ses frontières, ses tensions, ses malentendus. Cogitore réussit à nous transborder du XVIIIe au XXIe siècle, de l’espace colonial d’alors à nos banlieues d’aujourd’hui, en transmettant l’émotion, la colère et la résistance, ainsi que les incidences de la colonisation dans notre époque.
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