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 La menthe à l'eau

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Place publique et menthe à l'eau furent à la source de ce que, à partir des années cinquante, on a appelé le courant de psychothérapie institutionnelle, et dont Jean Oury et Félix Guattari, avec d’autres, ont été les chevilles ouvrières.
La menthe à l’eau est une méthode schizo, une surface d’accrochage, un langage de reconstruction sémantique, avec des signifiants pris au hasard des rencontres, au lieu d’aller les chercher dans les livres ou dans la bibliothèque de Sainte- Anne. Des bouts de discours, tenus par les uns et les autres, qui s’entrechoquent dans un hasard objectif.
La méthode freudienne, dans la psychanalyse en France, est ainsi placée dans ses plus étroits rapports avec la pratique poétique.

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L’exploitation du désir, c’est la grande invention du discours capitaliste, parce qu’il faut l’appeler quand même par son nom. Ça, je dois dire, c’est un truc vachement réussi.

Lacan, 4 février 1973, Milan.

 
Mais ces hétérotopies de crise disparaissent aujourd'hui et sont remplacées, je crois, par des hétérotopies qu'on pourrait appeler de déviation : celle dans laquelle on place les individus dont le comportement est déviant par rapport à la moyenne ou à la norme exigée.
Ce sont les maisons de repos, les cliniques psychiatriques; ce sont, bien entendu aussi, les prisons, et il faudrait sans doute y joindre les maisons de retraite, qui sont en quelque sorte à la limite de l'hétérotopie de crise et de l'hétérotopie de déviation, puisque, après tout, la vieillesse, c'est une crise, mais également une déviation, puisque, dans notre' société où le loisir est la règle, l'oisiveté forme une sorte de déviation.

Michel Foucault « Des espaces autres » Hétérotopies. 1967.

 

La poésie, c’est le projet fou de changer le nom de toutes les choses. Je suis convaincu que c’est une tâche poétique, plus encore que politique, qui nous attend. C’est la fonction désirante qui doit transformer le nom de toutes les choses. Or, cela, je le vois arriver. Je vois les lieux où cela se fait déjà. Mais il y a deux dangers. Le premier est la réabsorption des luttes dans des logiques d’identité. D’autre part, du côté des luttes écologiques, je me méfie du naturalisme et de la concentration sur la question locale, sur le localisme néonationaliste. De la même façon, la question des politiques d’identité sexuelle sature les débats, en se concentrant sur l’enjeu de la loi, mais pas du tout sur les questions du désir et de la liberté. Par exemple, cette obsession à tout réduire au consentement. Au secours. J’aimerais entendre parler du désir ; il est où le désir dissident ? Elle est où la puissance désirante des corps qui ont été objectivés et sexualisés pendant l’histoire ? Je n’entends que consentement ou pas. Le féminisme binaire et normatif est pour moi dans un moment de régression hyperbolique. Ce n’est plus un interlocuteur pour moi. Je ne comprends plus le féminisme naturaliste. Ma démarche trans est une démarche féministe révolutionnaire.
Ce qu’il faut combattre, c’est le masculinisme, pas les hommes. Ce qui m’intéresse, ce ne sont pas les politiques d’identité féministes, gay ou lesbienne. C’est le corps politique !

Paul B. Preciado, Dysphoria mundi, 2022

 

 Les délégués, les représentants, les tenants lieu, les tenanciers du signifiant imposent le régime d’une loi de signification : quoi que tu aies fait, cela doit signifier quelque chose; à chaque signifiant son signifié, à chaque signifié son signifiant, c’est le règlement ! La culpabilité institutionnelle consiste à considérer le moindre acte local, la moindre manifestation sémiotique singulière comme devant avoir un répondant dans une machine centrale d’encodage des significations. Mais plutôt que d’individuer et de centraliser hiérarchiquement le système des signifiants, une politique d’agencement de strates sémiotiques a-signifiantes décentralisées aura à déjouer les effets de signification et de culpabilisation. Le signifiant, dès lors, cessera de tomber comme une pluie grise sur l’ensemble institutionnel pour laisser sa place, enfin, à l’humour.

Félix Guattari, La Grande Motte,
vendredi 2 novembre 1973 matin