L'UNEBÉVUE N°20 : Robopsy
Des lois pour les âmes, des âmes pour les lois
ISBN n°2-914596-07-3, ISSN : 1168-148X, 125p, 22€, automne 2002
♦ Cahier de l'unebévue en supplément gratuit pour les abonnés :
La tradition de la mathesis universalis. JC. Dumoncel
Sommaire
L’esprit des peines : la prétendue fonction symbolique de la loi et les transformations réelles du droit pénal en matière sexuelle. Marcela Iacub
L’usage de la notion de « psychisme » a été confirmé et étendu jusqu’à définir la fonction même de l’intervention de l’État dans la sexualité. Cette attribution d’une fonction « psychique » à la loi permet d’élargir le champ de la contrainte légale que l’État s’autorise à exercer. Cet article montre, en analysant les transformations du droit pénal en matière sexuelle, de quelle manière cette invocation de la notion de «psychisme» accompagne et justifie une transformation des procédures élémentaires du droit pénal, fragilisant ainsi tout l’ordre politique, à travers une nouvelle figure de la subjectivité juridique et de la responsabilité qui a vocation à s’étendre à d’autres domaines que la sexualité.
L'expertise psychiatrique en droit pénal français : une rétrospection parmi d'autres. G. Lantéri-Laura
Les fonctions d'expert au pénal ont évolué depuis la promulgation du Code de 1810. D’une situation où les experts semblaient inutiles car magistrats et avocats redoutaient de voir le droit pénal et la pratique pénale annexés par une criminologie ambitieuse, fondée sur une médecine mentale aux prétentions annexionniste, et où s’exerçait une fonction répressive qui ne tenait compte que des actes eux-mêmes et de la défense de la société, on est passé à un usage de la pratique pénale qui, tout en conservant de tels objectifs, cherchait à s'intéresser à la personnalité de l'infracteur. Il paraîtrait bien naïf de croire que pareil souci dérivât seulement d'un intérêt humaniste à l'endroit d'un malheureux fourvoyé dans la délinquance ou la criminalité. Connaître le prévenu — à supposer que semblable démarche s'avérât sérieuse — peut, certes, aider à faire servir le choix de la peine à l'amender et à lui permettre de retourner utilement dans la société; mais cette connaissance peut tout aussi bien aider à choisir une peine qui mette plus sûrement la société à l'abri de sa malfaisance. Pourrait-elle aussi s'employer à aménager équitablement la sauvegarde sociale et l'intérêt du sujet ?
Les sœurs Papin de l’an 2002. Martine Jouannic
Théâtre, roman, essais, films, documentaire, rien n’est venu clore, à ce jour, le cas des sœurs Papin. Gérard Gourmel, chroniqueur judiciaire, a réouvert, soixante neuf ans plus tard, le dossier et fait surgir des incohérences, des manques. des données voilées par des interprétations latentes, des zones peut-être volontairement obscurcies, de l’enquête. Articles de presse, procès-verbaux, rapports médico-légaux, interrogatoires, dépositions de témoins, mettent en relief une nouvelle lecture possible de cette affaire. Un déplacement progressif de la responsabilité des meurtrières. Initialement partagée, elle se déporte vers l’aînée seule. Apparaît alors un renversement possible des positions des sœurs, allant à l’opposé des analyses du cas déjà produites : une sujétion totale de Christine à Léa, un délire à deux induit par Léa.
La manipulation mentale, cette mauvaise soumission. Arnaud Esquerre
En étudiant l’élaboration de la loi à l’encontre des sectes, on constate qu’un nouveau délit a été envisagé, celui de manipulation mentale. Les parlementaires ont d’abord considéré la manipulation mentale comme une dépendance psychologique, puis psychologique ou physique, puis comme une sujétion psychologique ou physique. Les difficultés d’en fixer les limites se sont avérées considérables. Les syndicats, les religions, la médecine, la psychanalyse, peuvent-ils tomber sous cette accusation ?
Du sujet coincé entre «homme» et «citoyen». Guy Le Gaufey
En quoi la psychanalyse et le droit se trouvent-ils affectés conjointement par ces modifications qui ont l'air de se dérouler à cent lieues de l’une et de l’autre, et pourtant les touchent tous deux ? Les modifications contemporaines du savant équilibre révolutionnaire entre «homme» et «citoyen», avec pour conséquence l’apparition d’une justice supra-étatique, tout cela porte atteinte au statut même qu’il convient d’accorder à l’inconscient. On trouve là le statut bancal de la psychanalyse, non seulement au regard de la science, mais aussi au regard de cette raison qui s’est forgée entre science et État, comme entre cuir et chair.
Droits des assujettis, sujet du droit. Jean Allouch
Le droit consent-il au sexe tel que Freud en dégageait le ressort pulsionnel, certainement pas. De là cette conclusion : le psychanalyste, sauf à écarter l’érotique freudienne, ne peut que récuser toute demande que le droit actuellement lui adresse de participer activement à la construction et à la mise en place du paradigme du consentement. À vrai dire, si le sujet au sens analytique de ce terme, devait se nicher quelque part dans le droit, ce ne serait nulle part ailleurs que dans ce vide qui précède les constructions juridiques, que cerne aujourd’hui peut-être mieux que jamais l’artificialisation de la vie.
Où sont les avant-gardes sexuelles ? Patrice Maniglier
De même que, jadis, le sexe n’était devenu un problème politique qu’à l’occasion ou au moyen d’une transformation de la nature du pouvoir, mais avait aussi pu être, de ce fait même, le lieu de nouvelles pratiques de liberté, pour parler comme Foucault, de même aujourd’hui le sexe ne devient objet de la loi qu’en accompagnant une transformation du pouvoir d’ État, mais aussi en ouvrant à toute une conception nouvelle des usages politiques que l’on peut faire de la loi ou du droit.