L'UNEBÉVUE N°21 : Psychanalystes sous la pluie de feu
ISBN n°2-914596-09-X, ISSN : 1168-148X/ 223p, 22€, hiver 2003-2004
♦ Cahier de l'unebévue en supplément gratuit pour les abonnés :
L'amour de loin du Dr L. JC. Dumoncel
Sommaire
9 - "Un p'tit filet de voix". Entretien de Bernard Pivot avec Julia Kristeva
À l'âge de 24 ans Julia Kristeva est arrivée de Sofia à Paris avec 5 dollars en poche. Elle a fait toute sa carrière d'écrivain, de psychanalyste et de professeur, en France et en langue française. Elle a même épousé un écrivain français, Philippe Sollers. Peut-on mieux s'intégrer ? Et pourtant c'est aux États-Unis, dans les universités américaines qu'elle jouit de la plus grande notoriété..
À la parution de son livre, Polylogue, en mai 1977, elle est interpellée par Lacan qui termine son séminaire L'insu que sait de l'une-bévue s'aile à mourre : « j'aimerais bien qu'elle me dise si ce Polylogue est une polylinguisterie, si la linguistique y est plus qu'éparse, est-ce que c'est ça que par polylogue elle a voulu dire ? Elle agite la tête d'une façon qui paraît m'approuver mais si elle avait encore un p'tit filet de voix?»
26 - Conversation Denfert. François Dachet
Mais enfin, la linguisterie, est-ce que tu en es plus content aujourd'hui que de la linguistique ? Parce que j'ai l'impression qu'il y a eu les retours de bâton. Tiens, à l'université, enfin.... ça a drôlement chauffé dans les dix-quinze années après ta mort. Maintenant ça s'essouffle, mais la linguisterie, est-ce que ça n'a pas aussi servi d'excuse pour prendre dans mes textes sans même en suivre la rigueur, oui, la rigueur poétique justement. A cet endroit-là, linguisterie, cuistrerie... C'était pas ce que tu voulais, mais est-ce que ça n'est pas ce qui s'est produit ? ... Oui, c'est l'écart entre ce que je fais et ce que tu fais... Pour ma part c'est de séparer la poétique de la linguistique qui ne me paraît pas convenir. Mais toi, comment disais-tu déjà ? Ah, oui : la parole sur la poésie est scabreuse. Mais pas en poétique bien sûr. En psychanalyse...
47 - L'insu que sait de l'une-bévue s'aile à mourre. D'après Jacques Lacan
(brouhaha) - Je vous l'ai déjà dit, ça m'ennuie beaucoup qu'il y ait tant de monde... (brouhaha) - Est-ce que vous entendez ? (Dans le brouhaha, quelqu'un dit : Non !) - Ça n'marche pas ? (Certains disent : Si si !) - Ça n'marche pas ! Hein ? ... pas ? (a parte) : Vous n'y pouvez rien ?... (Gloria et Lacan se parlent) - Ce, ce micro marche ou ne marche pas ? (Certains disent Non ! Quelqu'un, devant, dit avec ironie : Il marche ! ) - Quoi ?... Est-ce qu'il marche maintenant ? (Le public : On entend rien !)
Est-ce que quelqu'un entend quelque chose ? Comment ? (Quelqu'un crie : C'est pas assez fort !)
- Non mais, si l'micro est là c'est pour que le, le fond entende. Est-ce que le fond entend ? (pas de réponse, quelques vagues oui ! non !) Il hurle : Est-ce que là-bas on entend ? (Le public en choeur : Ouiii !!!)
- Voilà il y a ... une affiche comme ça, (il déplie un papier) grotesque... (grand bruit dans le public et rires) (Une voix : - Elle est à l'envers !) - Est-ce que vous avez su la lire ? Qu'est-ce que ça donne pour vous euh l'insu qu'sait, quand même, ça fait... ça fait bla-bla ! Ça équivoque... linsuksé... Et après j'ai traduit l'Unbewußte. J'ai dit qu'il y avait au sens de l'usage en français du partic... du partitif qu'il y avait de, de l'une-bévue. C'est une façon aussi bonne de traduire l'Unbewußte que n'importe quelle autre, que l'inconscient en particulier qui... qui en français et qui en allemand aussi d'ailleurs équivoque avec inconscience.
129 - Album de photographies de L'insu que sait de l'une-bévue s'aile à mourre
Accumulées au fond d’un tiroir, des photos de divers états de lecture des traces de ce que Lacan avait dessiné au tableau.
153 - "Nomina sunt consequentia rerum". André Pézard
Il n'est parmi tant de noms propres qu'un nom de chose sur lequel Dante se plaise également à diriger sa raisonneuse rêverie : «Amour». Mais est-ce un nom commun ? La traditionnelle majuscule, qu'il ne saurait lui refuser, et surtout le rôle que joue Amour dans le drame de sa vie, n'en font-ils pas un personnage vivant ? Quoi qu'il en soit, le poète ne disserte pas sur ce nom d'Amour comme sur un terme ordinaire du langage moral ; il ne s'attarde pas à son propos dans l'analyse d'une racine et l'interprétation d'une idée abstraite ; il se hâte de nous faire partager une intuition du sentiment et presque une pure sensation de l'oreille et des fibres profondes ; «Le nom d'Amour est si doux à ouïr, qu'il me semble impossible que sa propre opération... soit autre que douce.» Et c'est ici qu'il invoque, pour se justifier, le lieu commun : « ...con ciò sia cosa che li nomi seguitino le nominate cose, si come è scritto Nomina sunt consequentia rerum».
163 - De la pluie de feu au nouvel amour, la Comédie de Lacan. Mayette Viltard
Il faut bien supposer à Lacan un guide pour sortir de l'Enfer du signifiant. Il ne voulait pas des philosophes, de ceux qui donnaient des leçons publiques à la psychanalyse, volontairement ou non, et les philosophes ne voulaient pas de lui, mais pourquoi pas un ami «aussi illisible que lui» disait-il, un ignitié, un folage, qui comme lui, s'exposait en clown dans le concert des grands textes, en route pour la chute, le figuratif, la parole, le paradis ? Alors pourquoi pas Sollers en Virgile ?
Au seuil du Paradis, oui, Lacan chute et écrit «malgré lui» les lettres d'un nouveau discours analytique qui font obstacle à ce que les quatre discours tournent en rond. Voilà Lacan, nous voilà nous-même également, avec un nouvel amour. Et il conclut en disant : «Que j'aie réussi enfin j'ai pas fait exprès qu'j'aie réussi à pousser jusqu'au porno, c'est quand même c'qu'on appelle un succès».
187 - Du meilleur aimé. Jean Allouch
Le transfert amoureux fit, dans l’analyse, une entrée imprévue. Il aura suffi que Sigmund Freud se soit positionné à l’endroit de l’hystérique comme ne sachant pas, tout en lui offrant un dispositif où se présentait à l’horizon un possible, singulier et salvateur savoir (précisons : salvateur quant au symptôme, car, pour ce qu’il en est de l’âme…), pour que l’amour y trouve un champ favorable à décocher ses flèches. Il aura fallu quelques lustres, ensuite, pour que la question de l’amour ainsi posée dans l’agir (l’Agieren de Freud) soit référée, non pas, comme on pouvait l’attendre, à ce non savoir, pas non plus au savoir entre-temps accumulé, mais au sujet supposé savoir. Je tiens qu’on n’a pas mesuré le décisif de ce pas.