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Lydia Marinelli : 19, Berggasse

Freuds verschwundene Nachbarn

par Sylviane Lecœuvre

01

L'exposition « Freuds Verschwundene Nachbarn » a duré six mois, du 26 mars au 28 septembre 2003 dans l'ancien appartement de Freud, au premier étage, dont certaines cloisons ont vraisemblablement été abattues pour le transformer en galerie d'exposition après son acquisition en 1989. Cet espace sera ouvert au public en 1996 seulement.

Lydia Marinelli s'entoure de l'historien Oliver Rathkolb, membre de la commission d'histoire de l'Autriche et membre de la commission exceptionnelle, chargée en 1998 de dresser la liste de toutes les spoliations liées au nazisme.

L'organisation spatiale, sur 280 mètres carrés, est confiée au cabinet ARCHItexture de Vienne  Rainer Pirker et son associée Katrin Grausam reconstituent tout le plan d'occupation des logements du 19, Berggasse en 1938 à partir des archives historiques. Pirker prend tout d'abord un cliché du 9ème arrondissement puis un cliché de l'immeuble de la Berggasse et localise très consciencieusement chacun des appartements qui le constituent. Il en donne une représentation immédiatement perceptible par le public. En d'autres termes, cette image s'impose d'entrée et le regard ne peut s'y soustraire. Cliché unique mais puissant, plans d'architecte tirés au cordeau et agencement réglé des archives, telles semblent être les ressources pour ordonner finement cette exposition.

Avant d'aborder les détails de ce dispositif il convient cependant de rappeler dans quel contexte historique se déroule l'exposition.

 

A partir de 1998, la commission d'histoire autrichienne se penche sur les archives, via la conférence de Washington, car l'Autriche est dans l'obligation de restituer, entre autres, les oeuvres d'art spoliées par les nazis. Cette disposition s'applique aux particuliers et aux musées dont les acquisitions sont d'origine douteuse. Sont concernées certaines pièces de la collection Klimt et Schiele du Musée Léopold de Vienne.

Après la guerre, il faut attendre 1961 et sept lois intermédiaires pour mettre au point une commission de dédommagement qui ne prendra en compte que les liquidités (restitution des taxes sur l'émigration et des dépôts bancaires).

03En 2002, la commission doit dresser la liste des biens immobiliers confisqués qui n'ont jamais été pris en compte.

En février 2003, un mois avant l'exposition sur Les voisins disparus de Freud, et après quatre ans de travail, la commission rend un rapport de 12 000 pages qui est sans appel. Il lève le voile sur une politique d'après guerre jugée scandaleuse par Oliver Rathkolb. La république autrichienne continue à se considérer comme première victime de l'Allemagne nazie et ne prend pas à son compte une part active de responsabilité dans la persécution, la spoliation, la déportation et l'assassinat de la communauté juive. La commission découvre que des documents ont disparu en 1985 lorsque l'extrême-droite était aux commandes du ministère de la justice.

 

La loi constitutionnelle de 1946, colonne vertébrale de la république, accrédite l'idée que la période 1930-1945 n'est qu'une parenthèse car elle est la reprise pure et simple de la constitution de 1920 versus 1929.

Politiquement, la période février 2000-février 2003 voit en Autriche l’émergence d’une coalition inédite en Europe : la formation par le chancelier conservateur Wolfgang Schüssel d’une alliance avec l'extême-droite. Au vu des résultats électoraux des législatives d’octobre 1999, affaiblissement de la gauche (SPÖ) et montée de l’extrême droite (FPÖ) Schüssel a opéré un retournement d’alliance. Il renonce à "une grande coalition". gouvernementale entre la droite traditionnelle chrétienne-démocrate et la gauche sociale-démocrate sur laquelle repose le fameux "modèle autrichien". Son ambition est de prendre les rênes du gouvernement au risque de se faire manoeuvrer par le leader d'extrême droite Jörg Haider

Cette coalition ingérable s’effondre en septembre 2002 conduisant aux élections du 24 novembre 2002. Après trois mois de crise politique le parti conservateur, cherchant vainement d’autres alliances, reconduit cette même coalition jusqu’en décembre 2006, mais avec un changement notable : désormais l'extrême-droite ne sera plus qu'une force d'appoint et non plus un partenaire d'égal à égal. Le FPÖ conservera néanmoins sa capacité de faire tomber le gouvernement.

Dès le printemps 2000 en pleine montée de l'extrême-droite, Lydia Marinelli prend une initiative courageuse dont la portée politique n'échappera à personne : elle propose l'espace du 19, Berggasse à la célèbre artiste canadienne Vera Frenkel pour présenter au public viennois une oeuvre majeure : Body Missing dont le retentissement sera et demeure internatonnal.


04Le projet Body Missing a commencé à Linz en Autriche en 1994. Le concept était de rendre hommage aux artistes dont les oeuvres avaient été volées par les nazis et cachées dans un entrepôt à Linz, la ville natale du Führer. Hitler comptait les regrouper dans un grand musée après la guerre. Bon nombre de ces oeuvres "disparurent" pour réapparaitre ensuite à travers le monde dans des galeries d'art et des musées qui les avaient acquises de façon douteuse.
L'oeuvre comporte une installation vidéo à 6 canaux, une exposition de photos et un site web.
Soucieuse de ménager la nouvelle coalition qui réside à Vienne et les haut fonctionnaires Inge Scholz Strasser s'opposera de toutes ses forces à cette présentation qui n'aura donc pas lieu. Trois ans plus tard, le Musée Freud accueille Vera Frenkel à bras ouverts mais à Londres
Contactée au Canada par l'hebdomadaire "Falter" l'artiste lâche ces mots:"Scholz-Strasser était charmante mais impitoyable(unerbittlich)".
Entre 2000 et 2002 l'exposition Les voisins disparus de Freud aurait sans doute connu le même destin. Elle doit son existence à la résistance combative de Lydia Marinelli, au soutien des salariés du musée et aux conflits internes qui minent et affaiblissent le gouvernement à partir de 2002.

C'est donc avec ces données que débute l'exposition.

Le dispositif :

c'est un procédé diagrammatique, chronotopographique où les parties de l'ensemble sont disposées de façon réglée les unes par rapport aux autres. Il s'agit d'un aperçu fragmentaire de la vie de 8 familles juives qui ont vécu au 19,Berggasse entre 1938 et 1945 mais l'attention se porte également sur la fonction des espaces et des territoires où les destins individuels les plus sombres se croisent. Les propriétaires qui possédaient des biens remplissaient les conditions minimales pour espérer partir à l'étranger, d'autres sont restés pour partager des logements privés devenus collectifs où s'entassaient et transitaient des familles précédemment expropriés d'une autre rue, d'un autre quartier. Ces fragments d'existence et la re-configuration des territoires représentent de façon exemplaire et emblématique non seulement les crimes nazis mais également les inconséquences de la politique actuelle de dédommagement. La démarche est progressive et couvre la période 1938-2003. L'approche quant à elle est thématique : 8 logements et 8 points centraux évoqués :

051- l'émigration

2- l'aryanisation (Arisierung)

3- la réquisition des logements collectifs (Sammelwohnungen)

4- la déportation

5- le retour des camps

6- la remigration

7- la politique de dédommagement de la 2ème république

8- la politique de restitution de la 2ème république

Accompagnée d'un texte bref qui explique la démarche proposée, la première installation expose le cliché de l'architecte Pirker où 14 logements sont identifiés. Les traits continus visualisent les appartements côté rue, les autres côté cour. Sur ces 14 logements 8 étaient occupés par des familles juives (portes n° 2ab, 5, 6, 7,8 ,9/10, 11,14) en 1938. C'est sur elles que se concentre l'exposition.

Lydia Marinelli utilise plusieurs types de documents : des documents scientifiques, historiques, tirés des archives de la commission, comme une note de Karl Renner, de 1945, adressée à l'état major soviétique qui stipule que « le retour des juifs autrichiens n'est pas souhaitable ». Il sera le 1er chancelier puis le 1er président de la 2ème république jusqu’à sa mort en 1950.

Elle utilise également des actes manuscrits nominatifs qui relèvent de l'administration du Reich, comme le document nominatif du 08 avril 1938 signifiant à Emile Humburger, négociant en fruits, qu'il est désormais rayé du registre du commerce.

Le traitement infligé à la famille Humburger n’est que la première étape d’une « aryanisation » qui consiste pour les administrateurs des biens nazis à s’emparer progressivement des biens privés juifs et à imposer des taxes diverses et exorbitantes : taxe sur les biens, impôt sur l’exil, taxe de réparation etc …

 

L’exposition de Lydia Marinelli cherche à faire la lumière sur une politique dite d’abord « sauvage » devenue bureaucratique, légale et systématique. Simultanément les documents présentés renvoient à la pratique de la documentation et aux procédés de transmission.

Mais comment agencer les archives et les différents plans d'énoncés ?

06Rainer Pirker met à disposition 8 vitrines de verre et d'acier, qui en raison de leur construction en trois strates permettent une hiérarchisation du matériel historique. Ce sont des plans qui favorisent une perception en abîme. La 1ère surface frontale sert de support écrit pour une information actuelle, courte, sur un sujet évoqué comme l'exil ou la déportation. Le plan médian est consacré aux documents scientifiques, authentiques, tandis que le dernier support rassemble les actes administratifs nominatifs qui se rapportent à chaque individu exposé à la violence de la bureaucratie nazie et de la politique d'après-guerre. Cette structure tridimensionnelle permet une interpolation temporelle avec une exploitation maximale des matériaux utilisés comme le verre et la lumière. Il existe une relation isomorphe incontestable entre la rigidité exemplaire de la bureaucratie et la rigueur apportée au moindre détail technique de ce dispositif.

L'intrication des plans narratifs est renforcée par la présence d'une chambre sonore où s'entrecroisent des interviews de psychanalystes, des commentaires de voisins ou de visiteurs avec des appréciations variées sur ce qu'ils ont vu et entendu. Le montage sonore est confié à Chirine Ruschig qui travaille habituellement sur les pièces d'Elfriede Jelinek.

Lydia Marinelli fait le choix délibéré de réduire les traductions en anglais car cette exposition s'adresse aux Autrichiens. C'est au cours de cette visite que des voisins de palier apprennent que le 17 et le 19, Berggasse ont été réquisitionnés, prélevés sur le plan de la ville pour former des logements collectifs et être intégrés au réseau organisé de déportation. De la Berggasse, les habitants ont été transférés dans le 2ème arrondissement, très proche, qui abritait un camp de rétention avant d'être déportés vers la Pologne et la Russie. Le Gauleiter Baldur Von Schirach avait reçu des directives claires en provenance de Berlin : dissimuler l'impression d'une ghettoïsation de la ville et organiser des transferts de l'intérieur vers les quartiers excentrés du 2ème arrondissement sur la base d'un recensement détaillé des rues et des immeubles. Plus tard, à la fin de la guerre, la magnifique Cité Rotschild , qui était devenue le centre administratif pour l'émigration des juifs a été rasée pour y bâtir le siège de la chambre des travailleurs. Au 19, Berggasse, la commission estime entre 90 et 95 le nombre de personnes confinées dans les logements avant d'être déportées.

07La ville a été quadrillée très tôt et il existe une note de Freud qui révèle qu'entre le 03 et 25 avril 1934, quatre cents inspecteurs parcouraient déjà les 21 arrondissements de Vienne pour vérifier des informations consignées dans des carnets.

 

Le dispositif de l'exposition est économe, voire austère : aucun effet personnel, aucune photo ne sont exposés, hormis des photos d'identité, rien qui pourrait entraîner le visiteur dans les arcanes identificatoires. Tout expédient émotionnel est exclu.

 

L'enjeu est double : s'écarter d'un traitement « généralisant » de la mémoire, ce qui est la fonction du mémorial et surtout arracher le visiteur à la glu d'un idéal de la mémoire qui colle à une intimité non politique.

Les vitrines consacrées au logement de Freud (portes 5 et 6) sont agencées autrement ; elles sont placées au seuil de l'exposition et adossées au mur. D'après Ralph Ubl, historien de l'art et qui a déjà travaillé avec Lydia Marinelli ce traitement différentiel vise à indiquer que le 19, Berggasse est avant tout l'adresse de Freud. Cet agencement serait la réponse apportée à une polémique concernant la manière dont les Autrichiens traitent les intellectuels juifs. 

La polémique enfle début 2003 et parmi les intellectuels autrichiens, suisses mais également français, elle prend le nom de « controverse des contributions » (die Frage nach dem Beitrag) Elle fait suite à un article récemment paru dans le respectable journal, Die Presse. Le passage incriminé est cité deux fois, en partie dans le commentaire de Ralph Ubl et in extenso dans un article de la presse suisse sous la plume de Paul Jandl ; on peut lire :

« On devrait vérifier que la communauté juive apporte encore une quelconque contribution à ce qui autrefois l'a rendue si célèbre. Vérifier que la productivité des artistes et des intellectuels juifs les plus en vue justifie bien encore des subventions de l'état ».

En d'autres termes, l'Autriche aime les ornements d'un bonus culturel et spirituel qu'elle doit avant tout à ses intellectuels juifs du 20ème siècle. La république prend en considération la vie intellectuelle juive qui repose essentiellement sur Schnitzler,Schönberg ou Wittgenstein sans pour autant éviter le folklore nostalgique.

08Freud ferait partie de la bonne bourgeoisie juive dont l'exil a eu l'immense vertu de faire connaître la psychanalyse à travers le monde avec des retombées sur Vienne comme capitale culturelle. Ainsi Freud participerait au PIB avec un possible retour sur investissement, ce que pourraient valider peut-être à l'avenir les choix marketing de la Fondation Privée Sigmund Freud.

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L'exposition est également une adresse à l'artiste anglaise Rachel Whiteread et au  Mémorial de l'Holocauste inauguré à Vienne en 2000, après bien des difficultés, comme le révèle un article de Ward Ossian dans le Journal des Arts n° 116. Réalisé sous le nom de « Nameless Library » à partir de 65 000 copies du même livre, un pour chaque juif autrichien tué par les nazis,le mémorial suggère la destruction de la culture.

Un peu plus tard, en 2006, Lydia Marinelli confiera à Rachel Whiterhead une des installations de son exposition « die Couch » et prendra à ses côtés Ralph Ubl comme conseiller artistique.

L'exposition «  Les voisins disparus de Freud  » a connu une grande affluence avec 65000 visiteurs. Les échos sont élogieux dans la presse autrichienne indépendante et dans la presse allemande ou suisse marquée à gauche de l'échiquier politique. L'accueil est nettement plus réservé dans la presse autrichienne conservatrice, si on en juge les propos de Norbert Mayer :

« ... si les voisins de Freud deviennent un objet de recherche au même titre que la secrétaire d'Hitler ou la femme de chambre d'Eva Braun, le risque n'est-il pas de se retrouver à l'arrière-garde de l'histoire contemporaine? ».

La réponse viendra de Ingrid Scholz Strasser en personne :

« Décrire cette recherche comme une approche d'arrière-garde, voilà une compréhension de l'histoire profondément autrichienne ».

 

 

BIBLIOGRAPHIE

Ingeborg Bachman : Trois sentiers vers le lac, nouvelles traduites de l'allemand par Hélène Belletto, in Oeuvres, Paris, Actes Sud, 2009.

Ingeborg Bachman : Franza, traduit de l'allemand par Miguel Couffon, in Oeuvres, Paris Actes Sud, 2009.

Lydia Marinelli, Andreas Mayer : Rêver avec Freud. L'histoire collective de l'Interprétation du rêve, traduit de l'allemand par Dominique Tassel, Aubier Flammarion, 2009.

Sites internet cités :

http://www.freud-museum.at

http://www.judentum.net

http://www.paul-parin.info/index.php

http://www.diepress.com

http://www.marsh-agency.co.uk/paterson/sigmundfreudcopyrights

http://www.austria-architects.com/pirker

http://www.textezurkunst.de

http://www.eyemagazine.com

http://www.yorku.ca/BodyMissing/

http://www.freud.org.uk/

http://www.falter.at

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Lydia Marinelli : 19, Berggasse

Conférence du 6 février 2010 par Sylviane Lecœuvre

berggasseConférences DE L’UNEBÉVUE Samedi 6 février 2010

A la Galerie au premier étage de l’ENTREPÔT

7 à 9 rue Francis de Pressensé 75014 Paris

19, Berggasse : au cœur de Vienne, Freud y vécut de 1891 à 1938 avec les siens et y travailla, au 1er étage, de 1891 à 1892, puis il installa son cabinet en 1892 dans un trois pièces au rez-de-chaussée et il revint en 1907 au 1er étage.

Adresse personnelle mais également lieu de découverte, d'invention, d'élaboration puisque Freud, dès 1902, recevra dans son appartement privé la Société Psychologique du Mercredi : « dans ce petit cercle réunissant au départ les médecins Max Kahane, Rudolf Reitler, Alfred Adler et Wilhelm Steckel, mais qui ne tarda pas à s'ouvrir à des non médecins, on proposait à la discussion du matériel clinique, de façon informelle et sur le mode du « communisme intellectuel » écrivent Lydia Marinelli et Andreas Mayer en 2002 dans leur livre Träume nach Freud. Die Traumdeutung und die Geschichte der psychoanalytischen Bewegung récemment traduit en français sous le titre Rêver avec Freud. L'histoire collective de l'Interprétation du rêve.

 En 1910 il ne reste rien de la Société du Mercredi . Elle cède la place à l'Association Psychanalytique de Vienne qui servira de modèle à toutes les sociétés regroupées dans l'IPA. À partir de 1910, l'effervescence des débuts disparaît au profit d'une institutionnalisation de la psychanalyse et d'une pratique de plus en plus codifiée.

 Freud quitte Vienne le 4 juin 1938 pour rejoindre Londres sous la menace nazie et c'est aussi tout le mouvement viennois qui s'exile. Qu'emporte-t-il avec lui ?

 En 1969, avec la création de la Société Sigmund Freud, Sigmund Freud Gesellschaft, le 19, Berggasse prend une toute autre configuration : celle d'un musée, comme lieu d'héritage et producteur culturel par excellence. Progressivement un discours se construit, une histoire et des représentations particulières qui concernent une matérialité du passé. La fabrication active d'un public/consommateur tributaire du discours dominant, telle semble être la pente empruntée par le Musée Freud depuis sa privatisation en 2003.

 Lydia Marinelli, native du Tyrol, commence en 1992 à travailler à Vienne comme simple collaboratrice à la Société Sigmund Freud, elle a vingt-sept ans. Elle devient, à partir de 1999, directrice scientifique de cette Société. Elle n'a de cesse de proposer d'autres lignes de lecture, d'autres chiffrages, de discuter le lien entre l'histoire de la psychanalyse, l'histoire et la psychanalyse. En fabriquant en 2003 sa grande exposition : « Les voisins disparus de Freud » dans un contexte de réorganisation administrative et statutaire du Musée lourd de conséquences, elle propose « de l'intérieur » une visibilité à ce lieu « prélevé» en 1939 pour être réquisitionné et méticuleusement intégré à une machine de mort . A travers une installation très rigoureuse, une attention particulière est portée aux modes de construction de la réalité . Les controverses sont fortes.

 Car Lydia Marinelli a une façon de se mettre en travers des discours établis, de construire les expositions, de traiter des archives, c'est ce que confirment ses textes, si on en juge la traduction récente de son livre sur l'Interprétation du rêve comme fruit du travail collectif  lié à l'histoire agitée du mouvement psychanalytique, écrit en collaboration avec Andréas Mayer : la thèse défendue par Ilse Grubrich-Simitis, éditrice de Freud en Allemagne, centrée sur Freud comme seul auteur de la Traumdeutung s'en trouve passablement bousculée.

 Au printemps et à l'été 2008, Lydia Marinelli part en mission à Berlin et revient début septembre à Vienne avec en tête une grande exposition sur Freud en exil. Le 08 septembre, jour de reprise de son travail au Musée elle se jette par la fenêtre de son appartement.

 Au fil des polémiques qui continuent d'empoisonner le Musée Freud, au fil des alliances et des mésalliances, la défiance des analystes à l'égard du 19, Berggasse pose de façon plus large la question de la psychanalyse aujourd'hui, et pas seulement à Vienne.

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Lydia Marinelli : 19, Berggasse

Les psychanalystes, la Fondation et l'Université Sigmund Freud :

défiance, alliances et mésalliances

par Sylviane Lecœuvre

Dès 2005 les controverses sont vives dans la communauté des psychanalystes, désorientés, ne sachant pas clairement quelle attitude commune adopter face aux choix et aux décisions de la Fondation dont ils ont été sèchement exclus.

Deux grands mouvements se partagent le terrain psychanalytique à Vienne :

- la Wiener psychoanalytische Vereinigung (WPV), Association Psychanalytique de Vienne, actuellement conduite par Christine Diercks et issue de la Société Psychologique du Mercredi.

- la Wiener Arbeitskreis der Psychoanalyse (WAP), Cercle de travail psychanalytique viennois dirigé par le bouillonnant August Ruhs et issu du Cercle de travail pour la Psychologie des profondeurs qui a été fondé en 1947 par Igor Caruso.

Les membres de ces deux associations sont très majoritairement médecins de formation et certains dirigent des services hospitaliers à Vienne.

Depuis des décennies les deux associations sont à couteaux tirés. Les désaccords sont nombreux et profonds. La WAP a rejeté toute affiliation à l'IPA, juge la WPV trop « américanisée » et se reconnaît davantage dans une filiation à l'école suisse, à Binswanger et à la phénoménologie. Elle est également sensible aux apports de Lacan, ce qui constitue une pomme de discorde supplémentaire avec la WPV.

Or, en 2006, la défiance des psychanalystes à l'égard de la Fondation est telle que la WPV et la WAP font taire leurs désaccords mutuels et envisagent de collaborer à la création d'une Maison de la Psychanalyse (Haus der Psychoanalyse). Contre toute attente ils soumettent leur proposition à la Fondation : créer une Maison de la Psychanalyse au 19, Berggasse sous l'égide de la Fondation Sigmund Freud. Cette démarche obéit à un double objectif : il s'agit de réintroduire la psychanalyse à l'intérieur de la fondation, coûte que coûte, afin de contrecarrer le rapprochement qui s'opère depuis peu entre la Fondationet l'Université Privée. Oubliées les querelles d'experts qui ont opposé la SFP et la SFÜ. Les deux organisations connaissent parfaitement les avantages qu'elles peuvent respectivement tirer du partage d'un même « label » et collaborent étroitement. La WAP entretient des liens exécrables avec le recteur Pritz qui ne cache pas son hostilité à la WAP dont il est lui-même issu.

En d'autres termes, la WPV et la WAP comptent bien s'appuyer sur la très suspecte et néanmoins puissante Fondation pour neutraliser les ambitions de la SFÜ. A celà s'ajoute une véritable guerre d'implantation à Vienne où on s'arrache des parts de marché et où les associations psychanalytiques possèdent de nombreuses structures de soins.

Le deuxième objectif est d'occuper un espace intellectuel à l'intérieur de la Fondation pour infléchir les projets de la SFPpour le Musée car les chercheurs pressentent une dérive: avec sa planification à 6,2 millions d'euros la SFP est soupçonnée de promouvoir autre chose que le centre de recherches tant espéré et inscrit dans le cahier des charges, au profit de ce qu'ils appellent un « Trampelpfad », un sentier battu, littéralement « un chemin pour les rustres ».

Tout au long des coupures de la presse viennoise indépendante sont signalées les ambitions mercantiles du projet. Les difficultés résultant de la privatisation et de la médiocre gouvernance du musée sont largement relatées dans un article de Matthias Dusini, jeune journaliste à l’hebdomadaire « Falter », féru de photographie et de culture underground. Par ailleurs philologue et linguiste à Vienne il dénonce le business Freud, la firme Freud, quand la presse plus conservatrice, de son côté, dénonce les inconséquences d'un gouvernement incapable de financer la rénovation d'un des fleurons de la culture viennoise et autrichienne.

Tout cela n'est sans doute pas faux mais les quelques mots du très sérieux H.Leupold Löwenthal pour commenter le programme du jubilée Freud apportent une dimension autre qui touche aux relations complexes que les viennois entretiennent parfois avec la capitale autrichienne. « C'est une fête de l'île du Danube »(Donauinselfest) dit-il avec dérision. S'étirant sur 20 km, l'île du Danube est le produit moderne de travaux colossaux entrepris entre 1952 et1972 pour transformer un coude du Danube en bras mort et en modifier le cours. Chaque été,la fête de l'île du Danube se targue d'être le plus grand festival de plein air d'Europe et effectivement près de 3 millions de jeunes s'y rendent pour trois jours de concerts rock et country survoltés dans le cadre vert des installations de loisirs de l'île. Située à 2 km seulement du centre historique la vue sur les gratte-ciel ultramodernes y est imprenable.
La formule laconique de Leupold Löwenthal réitère et renouvelle une ligne de partage, une frontière virtuelle entre un pays catalogué ironiquement par ses intellectuels de « petite république alpine » et sa capitale, îlot progressiste et contrasté dans un océan conservateur.

Parallèlement, le projet de rénovation, tel qu'il est écrit par le bureau exécutif de la SFP, encourage plutôt une forme de désenclavement ; il y est moins question de profit mercantile que de réputation et de respectabilité à l'adresse des observateurs étrangers, notamment américains. Sur deux courtes pages le lecteur découvre dix-neuf fois l'occurrence « international » ou « mondial ». Inge Scholz Strasser écrit effectivement:

« La ville de Vienne, au cours de cette décennie, a retrouvé son autorité comme capitale de la psychothérapie et doit pouvoir tirer parti de l'aménagement d'un lieu qui augmenterait sa réputation mondiale ».

- Fin 2006 la Fondation décline définitivement l'offre commune de la WAP et de la WPV. Il n'y aura pas de Maison de la Psychanalyse au 19, Berggasse.

Les psychanalystes tournent la page de la Berggasse, quittent le 9ème arrondissement pour s'installer dans le 1er, au 16, Salzgries. Deux ans plus tard, à cette adresse sera inaugurée la création de la Wiener Psychoanalytische Akademie, la WPA, Académie Viennoise de Psychanalyse.

Pendant ce temps, au premier étage, le 5 novembre, vient de s'achever la grande exposition : «Die Couchvom Denken im Liegen».

lydia-marinelliLydia Marinelli et la Fondation Sigmund Freud : prémices d'une destitution.

L'année 2007 est particulièrement éprouvante pour les salariés du Musée. Les tensions qui empoisonnent la maison Freud prennent la forme d'un conflit extrêmement violent qui oppose la directrice de la Fondation à la directrice scientifique, Lydia Marinelli.

Lydia Marinelli est née à Matrei, dans le Tyrol oriental le 15 juillet 1965. Après des études d'histoire à Vienne, elle devient simple collaboratrice à la SFG en 1992. En 1999, elle obtient un doctorat de 3ème cycle. Elle est nommée directrice scientifique de la SFG par Ingrid Scholz Strasser et commissaire aux grandes expositions du Musée: elle a 34ans seulement. En 2002, elle enseigne au département d'histoire à l'université de Vienne et devient membre du comité consultatif de la toute nouvelle Fondation Sigmund Freud en 2003. L'année suivante, elle occupe le poste de directrice de recherches de la SFP.

Suite à la constitution du comité d'entreprise, elle est élue déléguée du personnel en 2006. Elle est invitée en 2008, comme chercheuse, à l'institut d'histoire des sciences Max Planck de Berlin, où travaille également Andreas Mayer.

Lydia Marinelli revient à Vienne début septembre avec le projet d'une grande exposition sur Freud en exil. Elle apprend à son retour qu'elle ne pourra pas organiser elle-même cette exposition. Pour des raisons budgétaires la Fondation choisit de faire venir une exposition de Berlin clé en main...

Le lundi 8 septembre 2008, alors qu'elle doit reprendre son travail au Musée, elle meurt en se jetant par la fenêtre de son appartement. Elle a tout juste 43 ans.

Le travail et les recherches de Lydia Marinelli en lien avec la psychanalyse sont multiformes. A partir de 1995 elle écrit de nombreux articles aussi bien sur l'histoire des Editions Psychanalytiques Internationales que sur les archives ou le cinéma. Son intérêt marqué pour le traitement de la trace et de l'image est particulièrement sensible dans ses expositions.

Son livre écrit en 2002 en collaboration avec Andreas Mayer sur la Traumdeutung comme fruit d'un travail collectif lié à l'histoire tourmentée du mouvement psychanalytique est actuellement le seul texte traduit en Français.Le public francophone n'a pas encore le recul nécessaire pour évaluer la réception du livre car la traduction a été publiée en octobre 2009.

Le 18 septembre 2007 marque ses premières grandes difficultés avec la Fondation.

Par courrier et conformément à la disposition 13.6 des statuts de la Fondation, Ingrid Scholz Strasser lui signifie que désormais elle ne fait plus partie des membres de l'Advisory Board, le comité consultatif. La directrice de la Fondation avance l'argument d'un conflit d'intérêt préjudiciable pour le bon fonctionnement du Musée. En effet, Lydia Marinelli est salariée de la Fondation. Dans une lettre en anglais qu'elle adresse à John Forrester elle ajoute :

« nous voulons en outre lui donner l'opportunité de se concentrer exclusivement sur son travail de recherches et la libérer de lourdes contraintes administratives ». (cf : Paul Parin)

Le lendemain, Lydia Marinelli envoie un mail au CA où elle souligne que c'est son emploi qui est directement menacé. Elle n'est peut-être pas sans savoir que l'obligation faite aux musées fédéraux d'avoir un commissaire aux expositions est levée dans les fondations. Elle fait également un lien entre cette décision et son projet de se porter candidate au prochain bureau du comité d'entreprise.

Son message reste lettre morte auprès du CA.

Actuellement, en 2010, on peut remarquer sur le site de la Fondation que John Forrester et Jacqueline Carroy ne font plus partie de l’Advisory Board .

En février 2008 débute une polémique autour d'un article publié trois ans plus tôt par Inge Scholz Strasser dans un livre écrit en allemand par Lisa Fischer et Regina Köpl. L'article s'intitule : Freud Museum : mehr als eine historische Denkstätte, (Le Musée Freud : davantage qu'un simple lieu commémoratif historique) Lydia Marinelli estime que des pages entières de cet article sont la copie conforme d'un texte dont elle est l'auteur. Elle fait valoir une démarque d'auteur et intente un procès contre Ingrid Scholz Strasser pour délit de violation de la propriété intellectuelle. Elle exige une réédition du livre avec la suppression de l'article ou l'apport de correctifs nécessaires. Elle enjoint aussi la Fondation à revenir à des « good practices ».

Après une querelle d'experts sa demande est déboutée. Il ne manquera pas de bons esprits pour dénoncer, une fois de plus, la néfaste Fondation soupçonnée cette fois d'avoir copieusement « rincé » les cabinets d'avocats.

19, Berggasse et 16, Salzgries : tous freudiens ?

Peu après, le 03 mars 2008, les journalistes se bousculent au 16, Salzgries afin d'inaugurer la création de l'Académie Viennoise de Psychanalyse. Pour la première fois depuis la guerre, la .WAP semble prendre la main sur la WPV puisque Ruhs prend les commandes de l'Académie . Cette collaboration de raison a un prix : l'affiliation de l'Académie à l'IPA...

Die Presse veut encore croire à une possible réconciliation entre le 19, Berggasse et le 16, Salzgries car Inge Scholz Strasser se rend à l'inauguration, «bien volontiers»  peut-on lire, au grand dam du recteur Pritz qui goûte peu les volte-face de la Fondation.

Cet apaisement sera de très courte durée. Le suicide de Lydia Marinelli, six mois plus tard, provoque un véritable séisme parmi les salariés du Musée et le rejet de la Fondation par l'ensemble de la communauté psychanalytique viennoise.

Le 19, Berggasse constitue-t-il une enclave, une sorte de point d'exclusion où la psychanalyse y serait durablement impossible ? Il s'y déroule pourtant de nombreux colloques, d'innombrables interventions et d'illustres chercheurs sont régulièrement invités au nom de la psychanalyse, autour d'une bibliothèque spécialisée désormais la plus importante d'Europe Occidentale. Comme les années précédentes, le programme annoncé pour 2010 est prometteur et les annonces d'une grande tenue rhétorique, mais il subsiste un embarras pour le lecteur un peu averti s'il cherche à attribuer un sens univoque à cette inflation de journées d'études.

L'immobilité du CA, des autorités viennoises, des Ministères et de Londres fait de l'affaire de la Berggasseune affaire presque silencieuse en Autriche mais bruyante lorsqu'elle passe les frontières espagnoles et suisses. Les descendants directs de Lydia Marinelli n'auraient pas eu accès à l'ordinateur, confisqué par la Fondation. Des mails, des documents de travail ainsi qu'une correspondance privée auraient disparu au Musée après sa mort.

Ce fait est très troublant si on retient qu'elle a justement consacré toute une partie de son travail de recherche à exhumer de l'oubli des archives psychanalytiques, plus troublant encore lorsqu'on sait le traitement particulier qu'elle réservera aux archives historiques et à la mémoire lors de sa grande exposition de 2003 sur Les voisins disparus de Freud . Les deux dernières expositions de 2003 et 2006 se déroulent dans un contexte institutionnel d'une rare violence dont on mesure la portée à condition de saisir en bloc les bouleversements administratifs, les transformations statutaires, le don de la maison Sigmund Freud et l'objet -même du travail intellectuel de Lydia Marinelli.

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