Freud et ses vieilles divinités dégoûtantes
Introduction
Une des difficultés à laquelle on se confronte lorsqu'on tente de saisir la « véritable » signification de la collection d'antiquités de Freud pour la compréhension de la psychanalyse tient paradoxalement à sa matérialité. Le caractère tangible, perceptible, des artefacts qui la composent -statuettes, vases, fragments, etc- lui confère d'autorité une sorte « d'évidence », une visibilité a priori qui devrait faire de la collection un objet moins évanescent et apparemment plus accessible que le corpus récalcitrant des textes freudiens où sont débattues les grandes questions spéculatives de doctrine et de méthode psychanalytiques.
Cette perspective se trouble passablement et durablement lorsqu'on constate que du vivant de Freud, cette collection qui comptait trois mille pièces dans les années 1930 et pas moins de deux mille lors de son exil à Londres en juin 1938, n'a jamais fait l'objet d'une seule publication par ses collaborateurs les plus proches, que ce soit dans les périodiques destinés à un cercle de lecteurs érudits ou des ouvrages pour un public plus large. C'est à peine si son existence est mentionnée en dehors des différentes correspondances.
Après la guerre, les cinq décennies qui ont suivi la mort de Freud, le 23 septembre 1939, voient surgir une quantité invraisemblable de textes consacrés à la vie et à l'œuvre de Freud. Tous les détails de sa vie privée sont passés à la loupe, ses écrits théoriques décortiqués et proposés au public, mais là non plus, aucune publication significative sur la collection ne voit le jour. Occupant une place difficilement identifiable, elle continue à résister farouchement à tout passage au public et à toute transformation en savoir, du moins par les voies reconnues et académiques. Aussi étonnant que cela puisse paraître, la rhétorique psychanalytique, saturée de figures de discours et utilisant une langue imagée tirée de la biologie, de la géographie ou de la technique militaire finira par donner davantage de visibilité à un autre objet qui se soustrait habituellement à l'observation directe et qualifié par Freud de « hautement complexe » : la logique et la dynamique des processus inconscients avec leurs connexions cachées.
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