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Conférences de L'Unebévue 2014

 

sardelas iPsychanalyse & pulp-fiction lesbien

Une machine littéraire de subjectivation

par Stelios Sardelas

Samedi 8 mars 2014

à L'Entrepôt 7 à 9 rue de Pressensé 75014 PARIS 


Argument


Avec Sidonie Csillag, homosexuelle chez Freud, lesbienne dans le siècle, Inès Rieder et Diana Voigt portent un coup dévastateur à I 'essentialisme qui caractérise les théories psychopathologiques de l'homosexualité féminine. Celle qu 'elles nommèrent Sidonie Csillag n'employait pas le terme d'homosexuelle pour se décrire et n'aimait guère davantage celui de lesbienne. Aucun doute, cependant, que Margarethe Csonka ne fut aux prises avec les processus de construction et de déconstruction des identités (homo)sexuelles.

Deux anecdotes, relatées par I. Rieder et D. Voigt, nous permettront de re-contextualiser le texte freudien et de suivre les mutations successives du désir entre femmes. Chaque anecdote renvoie à différentes constructions du désir de la femme pour la femme, mais aussi à différents débats entre psychanalyse, littérature et poétique qu'il s'agira de développer,

La première anecdote porte sur les « idylles quotidiennes » que Sidonie aurait vécues aux côtés de sa bien-aimée en psant des passages de Josefine Mutzenbacher, peut-être le plus célèbre roman pornographique écrit en langue allemande. Roman anonyme attribué à Fépx Salten, Josefine Mutzenbacher circula pour la première fois à Vienne, sous le manteau, vers 19Ø6. C'est un exemplaire usé de Josefine que Léonie Puttkamer tendait à sa jeune admiratrice en disant « Lis-moi donc s'il te plait quelques pages de ce pvre-là, ma chère, j'aime tant ça » . L'imaginaire de F. Salten servit de catalyseur à la relation entre les deux femmes, et mit fin à l'innocence de Sidonie, au profit d'une nouvelle compréhension de soi, des autres, de la vie. Encore faut-il ajouter que, dans le monde que les deux amantes tissaient ensemble, l'homosexuapté féminine — conçue en termes de catégorie psycho-sexuelle — n'avait pas de place.

C' est Sigmund Freud qui introduira la notion d'homosexualité féminine, contre Sidonie, venant déranger les idylles quotidiennes et ainsi interrompre le processus de subjectivation dont elles étaient le ressort. Pire encore, le « cas » freudien fera désormais autorité, c'est-à-dire barrage, à toute construction du désir entre femmes qui échappe à la psychogénèse œdipienne, à la logique des représentations, des identités et des interdits. II a fallu attendre longtemps avant que la construction freudienne de l'homosexualité féminine soit problématisée, renégociée. Elle le sera sans doute dans les années 1950, non pas dans les congrès de l' IPA mais dans un média queer, les pulps lesbiens , ce qui introduit la deuxième anecdote. En 1966, Sidonie eut envie de se dépayser, Elle partit aux Etats-Unis et trouva un travail provisoire chez une certaine Mme Herbert qui vivait dans une riche banpeue new-yorkaise. Un jour, en fouillant indiscrètement dans le garage de celleci, Sidonie allait découvrir une vaste collection de romans aux couvertures sensationnelles, arborant des titres suggestifs tels que We walk alone, Libido Beach, Perfume and Pain Could she have been born a lesbian ? Ces textes appartiennent à un formidable phénomène pttéraire et social, le pulp-fiction lesbien.

A feuilleter ces livres à notre tour, on découvre, non sans surprise, qu'ils recèlent de nombreuses références au fameux « cas » freudien d'homosexualité féminine, ce qui implique qu'un demi-siècle après sa rencontre avec S. Freud, dans un autre pays, une autre langue, Sidonie aurait pu lire non seulement des références à son « cas » publié, mais aussi à son histoire reprise, revendiquée, recodée par le mouvement lesbien naissant. Et, de manière plus générale, on découvrira que ces petits livres de poche, négligés, méprisés, eurent une grande influence sur la transformation des normes et des subjectivités sexuelles, ainsi que sur l'évolution de la jurisprudence en matière d'obscénité et de pornographie, en mettant constamment en tension l'actualité scientifique, littéraire et poétique avec les scandales du désir. Faut-il s'étonner, alors, que la psychanalyse participe, et ce de multiples façons, à cette grande machine littéraire qui refond les subjectivités ?


Quelques livres