560150bw.png

Conférences de L'Unebévue 2014

 

revues iScience des rêves et science des revues

Lydia Marinelli et les revues freudiennes

par Sylviane Lecoeuvre

Samedi 7 juin 2014

à L'Entrepôt 7 à 9 rue de Pressensé 75014 PARIS 


Argument


Il aura fallu attendre la fin des années 1990 pour que l'attention des chercheurs ne porte plus exclusivement sur la pertinence des concepts freudiens et l'histoire de leur récep tion. La question des moyens matériels, des formes littéraires orales et écrites, - discussions, conférences d'une part, monogra phies, journaux, bulletins, revues, support numérique, d'autre part - par lesquels la psychanalyse continue d'être présentée, diffusée et « portée » au public - au sens ici le plus général -, n'a suscité qu'un intérêt limité et tardif. Le grand tournant édi torial amorcé par Freud, en 1909, par l'introduction de la toute première revue psychanalytique - le Jahrbuch -, inaugurale d'une longue série, n'a fait l'objet d'aucune recherche ou problématisation sérieuse durant les quatre décennies qui ont suivi la deuxième guerre.

Dans un texte de 1999, novateur par son sujet, Lydia Marinelli, jeune historienne des sciences et conservatrice du Musée Freud de Vienne précise les raisons d'une telle négligence. Le peu d'enthousiasme tiendrait à la discontinuité des sources, suivie d'une politique des archives extrêmement restrictive. En effet, Jones rappelle que tous les stocks de livres pour l'Allemagne et l'Autriche, y compris ceux du Verlag, ont été sai sis à Leipzig en 1936 par la gestapo, annonçant la mise à mort pure et simple de la maison d'édition par les nazis en 1938. Mais Lydia Marinelli évoque également un autre motif, moins avouable, dans la mesure où il met l'accent sur cette forme d'académisme qui traverse toute l'histoire des sciences. Prenant le risque, avéré, d'être marginalisée par le milieu universitaire dont elle est elle-même issue, Marinelli affirme que les histo riens des sciences préfèrent concentrer leurs efforts sur l'his toire classique du manuel monographique, parce que cette forme de publication, véritable A.O.C de l'édition, est encore forte ment idéalisée dans les milieux académiques jusqu'au début des années 2000.

Ainsi, Freud lance ses deux premiers périodiques, le Jahrbuch, « artillerie lourde » dit-il, et dans la foulée le Zentralblatt. L'Association Internationale de Psychanalyse se dote néanmoins d'un autre organe de presse, officiel, interne, réservé aux membres contre une petite contribution financière : le Correspondenzblatt der IPV, Bulletin de correspondance de l'Association Internationale de Psychanalyse, « destiné à donner à tous les membres les nouvelles susceptibles de les intéresser, annonces de réunions, de publications, etc. », dont le 1er numéro parait en juillet 1910. Ce petit bulletin, « l'avorton » dira Jung, de quatre à huit pages maximum, sans aucune prétention scientifique, jouera par la suite un rôle central comme marque, signe distinctif du rapport des différentes revues à l'IPV.

Très vite, la violence inouïe des débats autour de l'orientation des contenus, impliquant respectivement l'école psychanalytique de Zurich et le cercle des élèves viennois, révèlent que Freud a bien recours à l'instrumentalisation poli tico-scientifique de la revue spécialisée. Car ce nouveau régime de publication inaugure, en effet, une série de contes tations méthodologiques et théoriques majeures qui portent sur ce grand texte historique que représente la première édition de la Science des rêves. Les modifications apportées par « la science des revues » à cette monographie fondatrice de la psy chanalyse s'avèrent décisives pour les éditions ultérieures et... dévastatrices pour l'unité du mouvement psychanalytique. Les quatre premières éditions de la Traumdeutung ne sont qu'un aperçu de l'agitation et de la fébrilité qui régnent dans le milieu psychanalytique. Entre 1911 et 1914, le Zentralblatt publie pas moins de 127 articles consacrés explicitement et directement à l'interprétation du rêve. Freud est un combat tant déchaîné, il fulmine contre Steckel « le cochon trouve des truffes », mais aussi un stratège attentif, « J'espère que vous savez maintenant pourquoi j'ai retiré le directeur de la publication au lieu de changer de rédacteur. J'ai vu que je n'en avais pas le pouvoir. Ainsi j'ai jeté le journal avec le rédacteur ».

Ce premier réseau de revues ne résistera pas plus de quatre ans aux conflits internes et aux déboires commerciaux. Pourtant, il constitue un élément-clé dans le processus d'ins titutionnalisation du mouvement psychanalytique au même titre que la création de l'Association Psychanalytique Internationale ou la tenue régulière des congrès. En s'emparant de l'instrument éditorial de la revue et d'une pratique du fragmentaire et du provisoire, la psychanalyse dessine, fabrique et organise un tout nouveau public, ein psychoonalytisches Publikum.

 

Quelques livres