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La caméra de Lehrman et le divan de Freud

Un nouveau genre cinématographique

 

La psychanalyse, bonne à tout faire de la psychiatrie

Avant que n’éclate l’affaire Reik en 1925, Freud analysait de nombreux américains qui, appuyés entre autres par Brill, séjournaient parfois plusieurs années à Vienne pour se soigner, approfondir leur formation ou devenir psychanalyste. De retour aux USA, certains d’entre eux s’établissaient en qualité d’analystes non médecins suscitant la réprobation des psychiatres-psychanalystes-neurologues.

Le livre de Freud consacré à la question de l’analyse profane, loin de réduire les tensions, ne fera que les renforcer, installant une division entre les américains et les européens, doublée d’une division entre les européens eux-mêmes. Eitingon et Jones, dans des positions parfois très ambiguës, mais au fond proches des revendications américaines, souhaitaient que la psychanalyse reste une profession médicale.

Aux USA, les exigences de Freud conduisent au contraire les psychanalystes à serrer les rangs et à taire provisoirement leurs différents. L’opposition à l’analyse profane est unanime mais Freud ne lâchera jamais prise, comme l’atteste un courrier, en anglais, adressé au sculpteur américain Jacques Schnier en 1938.[14]

« Cher Monsieur Schnier,

Je ne puis imaginer d’où peut provenir cette stupide rumeur concernant mon changement d’avis sur la question de l’analyse pratiquée par les non médecins. Le fait est que je n’ai jamais répudié mes vues et que je les soutiens avec encore plus de force qu’auparavant, face à l’évidente tendance qu’ont les Américains à transformer la psychanalyse en bonne à tout faire de la psychiatrie (housemaid of psychiatry).

                                           «  Bien à vous.

                                        «  Sigm. Freud. »

Lehrman partage avec Brill une histoire et des convictions communes. Même si ce dernier est de vingt-et-un ans son aîné, ils sont nés un 12 octobre (1895 pour l’un, 1874 pour l’autre), date qu’ils fêteront ensemble tous les ans, après leur rencontre, jusqu’à la mort de Brill en 1948, soit pendant vingt-neuf ans. Tout deux sont issus d’une famille juive, galicienne pour Brill, russe en ce qui concerne Lehrman. Ils émigrent aux Etats-Unis à l’adolescence et deviennent citoyens américains. Ils parviennent difficilement à faire leurs études de médecine, confrontés à de sérieux problèmes financiers. Brill devient psychiatre en 1903.

Lorsque Lehrman obtient lui-même son diplôme médical en 1918, il occupe un poste d’assistant auprès de Brill au St Lawrence Hospital de New york. Cette rencontre marque le début d’une amitié indéfectible. Parallèlement, l’aîné exerce une forte ascendance sur son jeune dauphin. Il est auréolé d’une réputation prestigieuse pour avoir organisé l’unique et mémorable séjour de Freud aux USA en 1909 et pour avoir surtout obtenu l’autorisation de traduire ses livres en anglais. Même si le résultat est désastreux (toutes les traductions furent revues par Strachey) il est considéré, encore aujourd’hui, comme le premier ambassadeur des théories freudiennes aux USA. Lehrman commence la pratique de la psychanalyse sous sa tutelle, une pratique particulière, jamais interrogée, où les patients se voient régulièrement soumis à une visite médicale préalable, « à la recherche de problèmes cardiaques, d’ulcères, d’allergies, d’asthme, d’appendicites et de tumeurs au cerveau ». [15] Quelque peu fasciné par son mentor, Lehrman adopte une vision et une pratique où la doctrine freudienne est réduite à une technique médicale, pragmatique et adaptative. Brill assure sa promotion et sa réputation, faisant valoir que son protégé « est le premier à introduire la psychanalyse dans un service public ». Il ira même jusqu’à installer son dauphin dans ses propres murs en lui cédant un niveau de son domicile pour une activité privée de « médecin-psychiatre-psychanalyste », ceci dès 1920. Par la suite, le jeune chercheur ambitieux fait une carrière brillante, cumule progressivement les fonctions de médecin et d’enseignant dans des grandes universités pour devenir directeur du service d’hygiène mentale dans un hôpital de New York de 1939 à 1949.

En 1920, alors qu’il est fraîchement diplômé et à peine formé à la psychanalyse, Brill lui conseille de faire une analyse personnelle en Europe, laquelle constitue, selon ses termes, une formation « irremplaçable ».

L’intention de Lehrman, qui a vingt-cinq ans, n’est pas de faire une analyse en Europe mais de la faire avec Freud. Cette ambition est le moteur d’une correspondance avec lui, qui va durer cinq ans, de 1921 à 1926, cinq ans pendant lesquels il n’obtient ni rendez- vous ni séance d’analyse.

En 1926, il se rend seul à Vienne, sans caméra, bien décidé à rencontrer Freud, coûte que coûte et à le faire changer d’avis. Entre temps, celui-ci a été opéré de la mâchoire et les douleurs, quasi quotidiennes, l’obligent à réduire sa clientèle. Il n’oppose pas de refus catégorique, il diffère, évoque des raisons de santé, mais on peut légitimement penser que l’affaire Reik est le véritable motif de sa défiance envers Lehrman et tous les patients américains.

Les réponses épistolaires de Freud aux demandes de Lehrman sont parfois cinglantes et comme souvent, terriblement clairvoyantes.

En août 1926, comme ce dernier lui demande « s’il peut simplement aller le voir » Freud lui écrit sans détour ces quelques lignes en anglais, alors qu’il est en vacances à Semmering, à deux heures de Vienne et niché à mille mètres d’altitude.[16]

 

 

Cher Dr Lehrman

Je vois que vous êtes un authentique américain, déterminé à obtenir ce que vous voulez et ne reculant devant aucun moyen pour parvenir à vos fins. Je ne peux pas imaginer que cela vous intéresse de me voir. En tant que vieil homme qui a été très malade et qui vit en retrait, je ne suis pas une grande attraction. Toutefois, si vous ne pouvez pas renoncer à votre désir, veuillez m’appeler dans les prochains jours, à 5h30 l’après-midi, où j’ai toutes les chances d’être chez moi et disponible.

Bien sincèrement. Freud

À la fin de l’été 1926, Lehrman rentre aux USA, très dépité, après avoir néanmoins « vu Freud » conformément à sa demande …

Deux ans après cette première tentative, en mars 1928, Lehrman reçoit une lettre de Freud plutôt encourageante, un peu alambiquée, où celui-ci lui dit « ne pas voir d’obstacle fondamental pour ne pas accepter de le prendre en analyse » (sic) puis il pose ses conditions. L’analyse ne pourra débuter qu’en octobre, à son retour de Semmering, devra se prolonger pendant neuf mois, et le prix de la séance est fixé à 25 dollars. L’américain est invité à apprendre l’allemand.

En mai, il modifie sa proposition. Le début de l’analyse est dorénavant fixé à l’été, non plus à Vienne, mais à Semmering, ce qui, ajoute-t-il « est exceptionnel pour lui ». Il ne manquera pas de mentionner ses problèmes cardiaques et l’éventualité d’une défaillance possible. Cette petite dose de dramaturgie sera suffisante pour pousser la famille new-yorkaise à accepter les conditions, toutes les conditions…

La nouvelle stratégie de Freud par rapport au patient new yorkais n’est pas sans arrière-pensées.

Sa propre situation matérielle est en effet fragile et depuis quelques mois, les sociétés psychanalytiques américaines sauvent le Verlag (les Editions Internationales) d’une faillite certaine par l’injection importante et régulière de dollars.

A la fin du mois de juillet, le couple Lehrman et ses deux enfants, Lynne, deux ans et Howard, six ans, s’installent à l’hôtel Südbahn, juste à côté de la villa Schüler que Freud a louée pour l’été. Lehrman arbore le tout dernier modèle d’une caméra 16mm Bell & Howell.



[14] Lettre de Freud à Jacques Schnier du 5 juillet 1938 in : E.Jones, op. cit ., p. 342.

Ultérieurement, Jacques Schnier, très inspiré par Jung, publie un essai critique sur le symbolisme dans l’art.

Jacques Schnier, « Art Symbolism and the Unconscious », in: Journal of Aesthetics and Art Criticism, V12, n°1, USA, édit.Thomas Munro,September 1953, 2011.

[15] Lynne Lehrman Weiner, op.cit., p.12.

[16] Lettre de Freud à Lehrman du 10 août 1926.

Les 19 lettres et télégrammes de Freud à Lehrman sont publiés en dernière partie du livre de Lynne Lehrman Weiner, pp. 195-211.

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La caméra de Lehrman et le divan de Freud

Un nouveau genre cinématographique

 

Les jambes de Roosevelt

 New-York 1954 :

« As-tu jamais vu des images de Franklin Delano Roosevelt dans son fauteuil roulant ?... As-tu jamais vu les sangles qui maintenaient ses jambes ou la présence de ceux qui l’aidaient à se tenir debout ? ». Je fis signe que non. Il m’expliqua qu’à cette époque, on partait facilement du principe que l’exposition d’une quelconque maladie physique dans l’espace public signalait une altération des capacités mentales. La presse et les photographes se mettaient d’accord pour ne filmer que le haut du corps de FDR ». [2]

Tels sont les propos résignés que Phillip.R. Lehrman échange avec sa fille, cette année-là. Ils ont sous les yeux un courrier d’Anna Freud qui leur signifie, de sa résidence de Londres, qu’elle ne lèvera pas le petit doigt pour les aider dans une entreprise qui leur tient à cœur. Ils envisagent en effet de monter un film à partir des images que Lehrman a tournées en 1928 et 1929 lors de son deuxième voyage en Europe à la rencontre de Freud, de sa famille et du mouvement psychanalytique. Vingt-cinq ans après les prises de vue, il est bien difficile d’identifier tous les protagonistes que Lehrman a épinglés avec sa caméra flambant neuve. Bien des noms manquent à l’appel. Père et fille comptaient sur Anna pour combler les lacunes.

Les environs de Vienne, hiver 1929 :

 

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Commentaire :

Extrait de la scène - un paysage de neige – trois chiens exubérants, deux bergers et un chow chow, qui encerclent un homme emmitouflé et menacent de le faire tomber- l’homme chancelle- deux femmes tentent d’écarter les chiens. [Lehrman, qui tourne la séquence, a emmené son équipement, un trépied pour les prises automatiques, car il veut absolument être filmé aux côtés du « grand homme », le sublime Freud qui, de surcroît, est son analyste].

Ce fragment de 5 secondes nous prive bien-sûr du final mais nous pouvons nous appuyer sur la description minutieuse qu’en donne la conservatrice du Musée Sigmund Freud de Vienne, Lydia Marinelli, dans un texte alerte, publié en allemand en 2009. Elle mentionne, non sans humour, que toute cette agitation autour du trépied ne fait qu’énerver les chiens, lesquels décrivent des cercles et des allers retours entre Freud, les dames et l’appareil. [Lehrman a peur pour sa caméra, les deux femmes pour Freud]. La frêle silhouette vacille, totalement déboussolée. Dans la plus grande confusion, les chiens se jettent sur le trépied, ce qui met brutalement fin au plan séquence [3]. C’est également le final de la dernière bobine.  [3]

 

On peut s’imaginer le malaise éprouvé par Anna lorsqu’elle visionne ce passage, vingt-cinq ans plus tard, confrontée brutalement à sa propre image (l’autre femme captive de l’objectif n’est autre que Dorothy Burlingham) et à celle de son père, amaigri, affaibli, presque sidéré, une iconographie pour le moins déplaisante et déplacée, en tout cas peu conforme à celle qu’elle cherche à transmettre internationalement. La scène, un peu abrupte, tient du comique de situation digne des aventures de Buster Keaton. Le rythme saccadé des images, imposé par des limites techniques, imprime une raideur aux mouvements et tire l’ensemble du côté de la représentation burlesque.

La réponse d’Anna à la requête de Lehrman ne se fait pas attendre et elle est cinglante. Celle-ci lui écrit qu’elle refuse non seulement d’intervenir dans la recherche des identifications, mais qu’elle s’oppose même à l’édition « de ce simple home movie, qui, après tout, a été tourné à titre amical ».[4] Les mots font mouche, à la manière d’un lapsus, signalant aux destinataires qu’ils possèdent, non pas un petit film naïf, mais un document potentiellement explosif, au point d’hypothéquer les liens amicaux qui unissent les deux familles.

L’attitude d’Anna ne manque pas de blesser Lehrman. Il a effectivement largement contribué à faire connaître ses recherches sur les effets post traumatiques de la guerre en éditant un de ses textes de 1943 « War and Children » [5], écrit en collaboration avec Dorothy Burlingham, et devenu depuis une référence pour la clinique des enfants.

Une rue enneigée de Vienne, hiver 1929.

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Ce photogramme est issu d’un plan séquence de 49 secondes qui est sans doute un des moments clè, une des scènes les plus fortes et émouvantes du film.

 

Les huit premières secondes- Anna et son père, de face, marchant sur un trottoir glissant- elle lui offre son bras – il le repousse- il lui offre son bras- elle le repousse- [commentaire de Lehrman : tous les deux marchent sans vérifier la présence de la caméra qui tourne].

Milieu de la séquence – Freud, les mains dans le dos et Anna, les mains dans les poches- Anna regarde l’œil de la caméra, s’approche de son père et le prend par le bras. Freud marque une pause, recule de quelques pas, se dégageant de l’emprise.

Ce plan séquence ne saurait cacher le hiatus entre ce geste d’Anna, tout sourire, et la terrible résistance de Freud à se plier à un exercice convenu. Aurait-il une autre priorité ?

Les trente dernières secondes de la séquence- Freud isolé, piétinant sur ce même trottoir près d’un réverbère - il tire avidement sur le bout d’un cigare qu’il a rallumé- Il parle à Anna, tandis qu’elle est hors champ. [commentaire de Lynne Lehrman Weiner : «  mon père me rapporta les supplications d’Anna : « Papa, jette le, s’il te plait, jette le !].  [6]

 

Soudain, vociférant, Freud jette rageusement son cigare, excédé, désemparé, comme si c’était le dernier, se pliant à contrecoeur à l’autorité de sa fille-un sillon, bien visible, creuse sa joue droite, légèrement nécrosée, juste au dessus de la mâchoire.

Chaque fois qu’il est éloigné de sa fille, il transgresse la règle qu’elle lui impose et fume sans se soucier de la présence ou non de la caméra.

Par contre, signale Lehrman, Anna rappelle son père à l’ordre dès que la machine est dirigée sur eux. Piégée par les effets d’un geste et sa trace, prise en flagrant délit de vouloir contrôler l’apparence de son père, dès 1929. Pour le spectateur un peu averti et attentif, la présentation d’un Freud non fumeur relève de la pure abstraction. Cette bizarrerie saute aux yeux lorsqu’on regarde de près les nombreux photogrammes disponibles, tirés des séquences. Ils révèlent que les contemporains de Freud évoluent sans relâche dans des volutes de fumée. Ainsi, on peut voir Edward Bibring, à Vienne, dans la maison d’édition, une cigarette à la bouche, légèrement penché, offrir du feu à Jennie Waelder. Rudolf Loewenstein, Paul Schiff, Théodor Reik, Robert Hans Jokl et même Lehrman exhibent en permanence tabac, briquets, allumettes et cendriers- tout l’arsenal du fumeur invétéré.

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Dans cette tabagie ambiante, Freud surgit sur l’écran, aux côtés de sa fille, totalement décapé de son incorrigible dépendance.

Ce souci constant pour le contrôle de l’image, Anna le tient de son propre père, exprimé très clairement dans une lettre qu’il adresse quelques mois plus tôt à Marie Bonaparte. Il vient d’apprendre que la traduction en français de son autobiographie sera accompagnée d’une photographie et voici ce qu’il lui écrit, le 28 juillet 1928.

« Inclure la photographie d’un auteur m’apparaît comme une mauvaise habitude, « une chose fâcheuse », une concession au mauvais goût du public. Ce à quoi ressemble l’auteur ne concerne pas le lecteur. Si celui-ci veut lui donner un visage, il peut dans ses fantasmes, le parer d’une beauté idéale sans être contredit ».[7]

Vingt-cinq ans plus tard, au milieu des années 50, lorsque Lehrman sollicite le concours actif d’Anna pour le montage de son film, un autre décor est planté. Depuis la toute récente fondation des Archives Sigmund Freud à Washington, en 1951, au coeur d’une des plus grandes bibliothèques du monde, la famille Freud conduit, d’une main de fer, une politique éditoriale absolument décisive pour la réception des travaux scientifiques du maître. Dans les premières années de son fonctionnement  personne ne pouvait vraiment prévoir que ce gigantesque réservoir de manuscrits, de lettres et de documents en tout genre allait se transformer progressivement en véritable forteresse de l’orthodoxie freudienne. En accord avec le directeur des SFA, Kurt Eissler, Anna édicte des règles draconiennes, prévoyant des restrictions qui, occasionnellement, dépassent largement le cadre classique des lois en vigueur. L’organisation de la fameuse et controversée série Z, soumise à un déclassement progressif jusqu’à l’année 2100, pour des raisons de protection de la vie privée des personnes, patients ou psychanalystes, se révèle à l’expérience contre productive face à la déferlante des images et l’explosion de l’industrie cinématographique. Après la seconde guerre mondiale, l’industrie du film s’adressait d’ailleurs directement à la famille pour obtenir les autorisations, toujours refusées.

Comme Huston, huit ans plus tard et Pabst trente ans plus tôt, la famille Lehrman passera outre, le moment voulu…



[2] Lynne Lehrman Weiner, Sigmund Freud Through Lehrman’ s Lens, Giessen, Psychosozial-Verlag, 2004, pour la première édition allemande, janvier 2008 pour l’édition anglaise, p16. Nous nous référons au texte en anglais qui correspond au manuscrit original.

[3] Le film n’étant pas disponible et les copies difficilement accessibles, nous nous appuyons sur les photogrammes et les commentaires publiés dans le livre de Lynne Lehrman Weiner, op. cit. , et sur la description précise des scènes rapportées par Lydia Marinelli.

Lydia Marinelli, « Rauchen,Lachen und Zwanghaftes Filmen. Zu den Anfangen des psychoanalytischen Dokumentarfilms » [2000, 2004] in : Tricks der Evidenz, Wien, Turia+Kant, 2009, 147-176.

[4] Lynne Lehrman Weiner, op. cit. , p16.

[5] Anna Freud, Dorothy T. Burlingham, War and Children, University of Michigan, Medical War Books,

1943, 1973.

[6] Lynne Lehrman Weiner, op. cit. , p73.

[7] Lettre de Freud à Marie Bonaparte du 28 juillet 1928 in Ernest Jones, La vie et l’œuvre de Sigmund Freud, volume 3, Les dernières années, 1919 -1939, Paris, P.U.F, 1961, p 162.

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La caméra de Lehrman et le divan de Freud

Un nouveau genre cinématographique

 

Lynne et Anna, monter un film ou faire son cinéma

 New York, 1954

Malgré le courrier fort désobligeant d’Anna et son refus de les aider, père et fille montent un film muet de vingt minutes, en noir et blanc, issu des séquences tournées en Europe, présentant uniquement la famille Freud et les psychanalystes les plus connus. Lehrman n’utilise pas la bande sonore enregistrée en 1950 et préfère faire appel à des professionnels, pour mixer son et image. Il enregistre donc un nouveau commentaire dans un studio de spécialistes. La bande sonore de 1950 est oubliée dans un tiroir.

Cette première version se révèle extrêmement décevante car le mixage commentaire / images est défectueux avec des erreurs grossières, des inversions de noms ou de lieux.

Washington, 1957

Kurt Eissler, qui collecte tous les documents est particulièrement intéressé par le film de Lehrman. Une copie est donc confiée aux Archives Sigmund Freud, sous réserve de sa restitution rapide en échange d’une version corrigée de ses erreurs. Le film prend le statut de film privé. Lehrman est foudroyé par une attaque cardiaque en 1958 avant de pouvoir finaliser les corrections.

Au milieu des années 50, les chercheurs n’étaient pas tous familiarisés avec les pratiques particulièrement rigides des SFA. (Sigmund Freud Archives). C’est donc avec surprise et colère que Lynne Lehrman découvre que le film est classé jusqu’en 2057. Dans une interview du New York Times, elle évoque un échange très tendu avec Eissler, le maître des lieux.

« Savez-vous ce qui va se passer en 2057 ? Vous ne trouverez rien d’autre que de la poussière dans ce caveau (vault, littéralement coffre mais aussi caveau). Les films seront réduits en poussière ».[29]

Dès 1958, Lynne Lehrman Weiner reprend le travail de son père, avec un triple objectif : continuer l’identification de toutes les personnes filmées pour mettre au point une version augmentée, rectifier les erreurs qui se sont glissées lors du mixage entre les images et le commentaire et surtout, rendre cette deuxième version accessible au public.

Cependant, très vite, les obstacles s’accumulent. Le projet se révèle onéreux et l’encadrement du droit à l’image, extrêmement strict, est difficilement contournable.

Parallèlement, Anna Freud et une partie des psychanalystes exilés se liguent contre cette initiative.

La guerre des images conduit Anna à fabriquer son propre documentaire en 1972 et à ajouter un commentaire en 1979, trois ans avant sa mort. Apprenant que Lynne Lehrman Weiner ne capitule pas, elle change soudainement de tactique, se déclarant prête à autoriser, sous son nom, le montage de séquences tirées du matériel privé. Cette version officielle, facilement accessible au Musée Freud de Londres, n’est souvent que le recyclage des images tournées par Marie Bonaparte, Mark Brunswick et Ruth Mac Brunswick, à qui on doit la scène des Noces d’or de Freud, le 14 septembre 1936. Anna se montre intraitable. Mark Brunswick, acculé à des problèmes financiers s’apprêtait à commercialiser les petits films qu’il possédait sur la famille Freud afin de payer sa propre analyse, mais devant la colère d’Anna il lui cède les quelques bobines.

Dans cette documentation chronologique, éditée sous le titre « Sigmund Freud 1930-1939 » celui-ci est présenté dans des situations quotidiennes, entouré de ses chiens, dans sa villégiature d’été ou pendant son exil londonien.

Le commentaire d’Anna est très instructif et parfaitement maîtrisé. Une des séquences concerne une rencontre, dans un jardin de Pötzleindorf entre Freud et son ami archéologue Emmanuel Löwy en 1932, qu’elle ne nomme pas explicitement. C’est elle qui tient la caméra. Elle  mentionne que « c’était un homme très gentil, très aimable. Sur ces images, les deux hommes ne savaient pas qu’ils étaient filmés. Cela explique pourquoi cela semble naturel ».

Elle ajoute que « ce sont les meilleures images du film ».[30] Anna attire l’attention sur le fait qu’elle est la seule à reconnaître l’expression d’un Freud « authentique », poussant le spectateur à s’identifier à elle dans sa proximité, non pas avec Freud, mais avec son père. Sa démarche est loin d’être naïve et s’adresse implicitement au caractère jugé « artificiel » des images de Lehrman, ce qu’il revendiquera lui-même, expliquant que les séquences filmées, pour la plupart, sont des mises en scène affectées, pour apporter « un peu de contenance et de mouvement ».

A la fin des années 70, Lynne Lehrman Weiner, sans se décourager, découpe de son côté toutes les images qu’elle possède et isole les photogrammes. Elle réussit à identifier cent-sept des cent-neuf personnages filmés, malgré la fronde des psychanalystes viennois exilés, orchestrée à partir de Maresfield Gardens.

Fortement ostracisée, elle travaille seule, d’arrache pied, rassemble tout le matériel visuel et sonore.

Elle dispose de la totalité des séquences non montées, d’une durée d’une heure environ et de l’original du premier montage sonorisé de 1954, interdit de diffusion publique et techniquement défectueux.

En 1980, elle retrouve fortuitement le commentaire que Lehrman avait enregistré en direct, lors de cette projection mémorable et fort enfumée de 1950 devant la Société Américaine de Psychanalyse. Ultérieurement, cette bande sonore allait devenir, grâce à Lydia Marinelli, un véritable élément de contenu, jusque la négligé, capable à lui seul de disloquer la force des images.

Au tout début des années 80, quelque peu usée par ses recherches et dans la crainte grandissante de ne pouvoir monter son film, Lehrman Weiner élabore un nouveau projet autour de la publication d’un livre, basé sur le film de son père et censé lui redonner du courage. L’idée de cette publication correspond à ce qu’elle appelle « a bifurcated dream ».

La trouvaille de cet ouvrage très travaillé réside dans sa construction et dans une transcription intégrale de la bande sonore entre les voix off et les bruits de fond. Cette transcription est efficacement soutenue par une sélection habile des images filmées par Lehrman, comme dans un livre illustré. Les deux projets se nourrissent mutuellement mais la publication du livre se transforme en véritable expédition. Comme on peut s’y attendre, les maisons d’édition américaines se défaussent, tout en vantant la qualité du travail. La frilosité des éditeurs repose en partie sur les politiques commerciales mais également sur la défiance des psychanalystes restés fidèles aux impératifs londoniens. Le livre est édité une première fois en 2004 en allemand, puis dans sa version originale anglaise en janvier 2008.[31]

Anna meurt en 1982.

En 1985, enfin, soutenue par des subventions de la New-Land Foundation et de l’Institut Psychanalytique de New York, Lehrman Weiner parvient à produire en studio une nouvelle version audiovisuelle de cinquante-cinq minutes, en deux parties, sous le titre « Sigmund Freud, His Family and Colleagues, 1928-1947 ». Entre les deux versions trente ans se sont écoulés.

Elle ne pourra pas contourner la législation des données privées et confier le film à la grande distribution cinématographique. Elle se voit donc contrainte d’en céder des copies aux archives scientifiques patentées, à des fins uniquement de recherche. Les projections s’adressent à un public d’érudits, triés sur le volet. Le film, encore une fois, est soustrait au regard du grand public. Une des premières présentations se déroule à Paris en 1987, suite à une invitation lancée par Alain de Mijolla, fondateur de la toute nouvelle Association Internationale d’Histoire de la Psychanalyse. Pour ce deuxième film de montage La Bibliothèque du Congrès de Washington fixe son déclassement en 2086, après lui avoir attribué le statut de film privé.

Cependant, la même année, les Archives Sigmund Freud décident d’assouplir les restrictions imposées à tous les films, compte tenu du caractère fragile des sources. En 1986, Harold.P.Blum, qui a toujours soutenu Lehrman Weiner, succède à Eissler et procède à leur reproduction par enregistrement.

Les chercheurs, sous des conditions néanmoins drastiques, sont enfin autorisés à visionner sur place les archives audiovisuelles.

 



[29] Donna Green, « Lynne Lehrman Weiner, Films Honor a Writer’s Father and Freud », in : New York Times,

2 janvier 2000.

[30] Voir note 1.

[31] Voir note 2.

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La caméra de Lehrman et le divan de Freud

Un nouveau genre cinématographique

 

Psychanalyse en mouvement...

En juillet 1995, quarante-deux chercheurs envoient une pétition commune à destination des Archives Sigmund Freud de Washington, afin de contester la mise en place d’une exposition consacrée au centenaire de la psychanalyse. Prévue pour l’automne 1996, elle aborde le thème de « Freud, conflit et culture ». Ces chercheurs, majoritairement médecins ou philosophes, très hostiles à la psychanalyse, réclament que soient publiés leurs travaux dans le cadre de l’exposition. La polémique enfle et l’exposition, à défaut d’être annulée, est repoussée en 1998.

Une contre offensive est organisée par quatre cents pétitionnaires pour encourager au contraire le maintien de cette grande manifestation et surtout obtenir enfin l’ouverture de toutes les archives à tous les chercheurs et non aux seuls membres de l’IPA.

Le conflit se transforme en bataille rangée entre défenseurs acharnés et détracteurs survoltés, entre hagiographie ridicule et Freud-bashing (dénigrement de Freud) haineux.

Une solution de compromis est négociée entre les deux camps. L’exposition est maintenue mais les détracteurs de la doxa freudienne sont autorisés à publier, via des textes acides, le résultat de leurs recherches dans le catalogue. Le projet de l’exposition est d’une ambition jamais égalée, avec la prévision de quatre-vingt vitrines et l’exhumation de textes ou de documents audiovisuels inédits dont quelques extraits du film de Lehrman. La préparation d’une telle initiative implique la participation internationale de tous les sites d’archives.

C’est à ce titre que le Musée Freud de Vienne est partenaire.

En 1999, l’exposition américaine est transférée, sous une forme allégée, à la très sélecte Bibliothèque Nationale d’Autriche à Vienne. C’est une contribution quelque peu guindée, qui s’appuie, comme prévu, sur une iconographie officielle et, somme toute, conventionnelle.

A quelques rues de là, la Berggasse est tenue de participer au grand déballage. Marinelli, en tant que conservatrice du Musée Freud y mettra la main mais à sa manière, bien particulière. Avec la complicité évidente et quelque peu espiègle de Lehrman Weiner, alors qu’on est en plein débat sur l’ouverture des SFA, elle organise la projection publique et intégrale de la deuxième version du film , dans le cadre d’une petite exposition modeste, loin des fastes de la Bibliothèque Nationale. Le film tournera en boucle, pendant plusieurs mois, immédiatement accessible à un large public. Pour la première fois, les séquences sont projetées toutes les heures, sept jours sur sept. Marinelli prendra soin d’ajouter un sous- titrage en allemand et d’accompagner la visite d’une brochure introductive destinée aux visiteurs. Quelques extraits tirés de cette présentation indiquent que l’ambiguïté formelle du film est totalement ressaisie pour constituer un élément essentiel de contenu.

 

« [Lehrman] projetait de traiter le voyage européen dans un style très en vogue. Les extraits du film, tirés de Vienne, Berlin et Paris, tournés à la manière d’un recueil de famille, entrelacent un voyage personnel et l’histoire de la psychanalyse…Le résultat pourrait s’apparenter à une romance familiale de la psychanalyse… à une fantaisie visuelle, transmettant l’impression d’une époque novatrice lointaine. Ce film attire notre attention sur la description freudienne de la psychanalyse comme « entreprise éminemment sociable ».

(Freud à Georges Groddeck, 21 décembre 1924).[36]

 

Un passage plus large de cette même lettre à Groddeck permet de comprendre que Freud ne confondait aucunement sociabilité et coexistence paisible, loin sans faut.

« Je suis peiné de voir que vous cherchez à ériger un mur entre vous et les autres lions de la ménagerie congressiste. Il est difficile de pratiquer la psychanalyse en solitaire. Elle constitue une entreprise éminemment sociable. Cela serait tellement mieux si nous feulions ou rugissions tous ensemble en chœur et en mesure, au lieu de grogner chacun dans notre coin. » 

(“…Es tut mir Leid, dass Sie eine Mauer zwischen sich und den andern Löwen in der Kongressmenagerie aufführen wollen. Es ist ein exquisit geselliges Unternehmen. Es wäre doch viel schöner, wir brüllten oder heulten alle miteinander im Chor und im Takt, anstatt dass jener in seinem Winkel vor sich murrt…") [37]

En marge des seuls visiteurs du musée, Marinelli s’adresse également aux passants en faisant afficher des reproductions de photogrammes sur la voie publique, dans les rues de la capitale avec les deux noms de Lehrman et Weiner.

L’exposition est présentée sous le nom « psychoanalyse in Bewegung (psychanalyse en mouvement). Eine Austellung zum Film Sigmund Freud. His Family and Colleagues, 1928-1947, von Philipp. R. Lehrman und Lynne Lehrman Weiner”.[38]

Dans la foulée, elle écrit son texte sur les débuts du film documentaire psychanalytique : Rauchen, Lachen und Zwanghaftes Filmen, qui paraîtra dans une édition allemande de 2000 et sera publié ultérieurement en anglais.

Lors de l’exposition viennoise, Lehrman Weiner ne cachera pas son immense satisfaction d’avoir favorisé une initiative aussi audacieuse et iconoclaste tout en soulignant la perspicacité, l’enthousiasme, et l’exceptionnelle qualité des contributions de Lydia Marinelli.

« Lydia Marinelli is the curator and a highly intelligent, energetic young woman who had a vision.” [39]

 Sylviane Lecoeuvre, juin 2013.



[36] Cité par Lynne Lehrman Weiner, op. cit. , p. 21

[37] Briefwechsel Groddeck - Freud (1917-1934), Stroemfeld Verlag, Frankfurt am Main,2008.

On peut eventuellement se référer à la traduction française in, S. Freud, Correspondance 1873-1939, Paris, Gallimard, 1960, p388.

[38] L’exposition débute au Musée Sigmund Freud de Vienne le 22 Octobre 1999 pour se terminer le 06 Février 2000.

[39] Voir note 29.

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La caméra de Lehrman et le divan de Freud

Un nouveau genre cinématographique

 

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Introduction

 

La construction d’une question autour des films d’archive qui fixent Freud sur la pellicule est une tâche qui peut s’avérer rapidement ardue, presque intimidante pour quiconque s’y attelle. Le matériel audio-visuel est tout d’abord rare : on ne connaît actuellement que quatre « documents filmés », identifiés et répertoriés comme tels. Encore faut-il préciser que deux d’entre eux puisent dans les mêmes sources, tirant leur seule légitimité du réagencement de séquences recyclées. Quelque peu appauvris par cet usage, ils perdent rapidement leur part d’historicité et toute probabilité d’enrichir la pure recherche biographique par des révélations fracassantes.[1] A la rareté des sources se greffe une deuxième difficulté, plus coriace, celle constituée par leur quasi inaccessibilité pour des raisons qui débordent la seule observation du cadre juridique. La législation sur la protection de la vie privée est le principal argument avancé pour obstruer le passage et servir des fins stratégiques moins avouables.

Lorsque Freud, pour la première fois, apparaît dans l’objectif de la caméra, il a déjà soixante-douze ans. C’est un homme malade qui porte désormais une prothèse de la mâchoire. Il n’existerait aucune archive filmée du jeune Freud et l’iconographie « documentaire » se contente de photographies figées, recadrées à l’occasion pour illustrer des ouvrages « mémorialistes ».

Les quatre documents laissés par ses contemporains, comme Marie Bonaparte, ou son patient américain Philip. R.Lehrman intègrent classiquement le genre cinématographique des films muets d’amateur, dans la catégorie précise des dits home movies (films de « famille »).

Par définition, ils s’adressent en priorité à l’environnement familial ou aux amis pour une utilisation interne. Le seul film de montage de ces home movies, librement accessible en ligne pour le grand public et réalisé à Londres en 1972 par Clifford Yorke, livre des images qui témoigneraient d’une volonté de faire mémoire par le recueil, la conservation et la restitution de moments d’existence, prélevés sur la vie quotidienne de Freud. Ce montage, sous la très haute surveillance d’Anna, monte en épingle une véritable saga familiale mais semble bien pauvre et dérisoire au regard de la « grande histoire des sciences ».

Sous la plume des spécialistes de la psychanalyse ou de l’image, ces films de famille occupent peu de place et c’est tout juste s’ils sont mentionnés. Par contre, la littérature et la recherche scientifique regorgent d’articles, de conférences et de journées d’étude consacrés aux fictions mettant le personnage de Freud en scène et relatant la situation psychanalytique. Ces journées sont invariablement scandées par la projection d’extraits du film de John Huston « Freud, The Secret Passion » (1962) ou, plus rarement, de l’excellente fiction de l’autrichien Axel Corti, dont le titre, « Der junge Freud » (1978), indique clairement ses intentions didactiques en promettant au spectateur de lever le voile sur la naissance et la diffusion de la psychanalyse. La production du canadien Cronenberg, « A Dangerous Method », sortie en 2011, est actuellement la seule à aborder une période négligée par les cinéastes et pourtant cruciale, celle de la rencontre entre Jung et Freud en 1904 et de leur rupture. Improvisation somptueuse, épurée, d’ombre et de lumière, elle se distingue dans la mesure où une partie des dialogues présente des répliques fidèles, au mot près, de la correspondance entre les deux hommes.

La fiction de Huston est d’une toute autre facture. Dans les plans séquences de l’américain, rien n’est épargné au public profane: ni l’exposition des premières méthodes de guérison (hypnose et catharsis), ni la croisade de Freud l’explorateur luttant seul contre l’obscurantisme de ses contemporains. La mission de ces films est justement de fabriquer, plus où moins adroitement, les évènements qui font cruellement défaut dans les archives audiovisuelles. Puisque ces entreprises pédagogiques prétendent éduquer et plonger le spectateur dans le tourbillon de la « grande aventure psychanalytique », personne ne s’étonnera des coupes exigées par la censure américaine auprès de Huston, à des fins purement idéologiques, ni des innombrables pressions exercées par Anna pour dissuader le cinéaste (et Marylin Monroe) de mener son projet.

Pour les américains et Anna l’enjeu est clairement de propagande : il est question de part et d’autre de ne pas ternir les représentations respectives d’une théorie et d’une méthode et même de les promouvoir.

Au cœur de ces débats, les « simples » home movies font grise mine et leur projection renvoie à la figure du spectateur qu’ils sont bien incapables de valider ou contredire un savoir historique et théorique qui s’est constitué en dehors d’eux.

Pourtant, dès les années 50, ces images filmées de « seconde zone », parfois même ennuyeuses, et sans grande prétention scientifique au moment de leur capture, deviennent la cible d’une politique d’obstruction et de censure extrêmement violente, politique d’autant plus insidieuse qu’elle s’exerce en coulisse par le réseau des psychanalystes eux-mêmes.

Lorsqu’en 1954, Philipp.R. Lehrman et sa fille entreprennent de monter un film documentaire à partir des séquences qu’il a tournées vingt-cinq ans plus tôt à Vienne, Berlin et Paris, ils ne se doutent pas qu’ils vont se perdre, pendant trente ans encore, dans le dédale kafkaïen de difficultés multiples.

Mettre en lumière les pratiques douteuses pour le contrôle de l’historiographie freudienne et l’ingéniosité de quelques uns pour en gripper l’efficacité, exige un préalable : celui de se déplacer constamment sur une double, voire une triple échelle du temps, de traverser l’épaisseur temporelle qui sépare le moment bref des prises de vue du temps nettement plus critique de leur mise en forme filmique et de leur réception. Il s’agit bien de suivre les traces de ces images qui nous parviennent, malgré les obstacles, totalement autres.



[1] - Lynne Lehrman Weiner, Sigmund Freud, His Family and Colleagues, 1928-1947, film de montage réalisé à partir des séquences tournées par son père, Philip. R. Lehrman, Washington, Library of Congress, 1985. Il existe trois autres copies de ce film aux Archives Lehrman Weiner (New York), au Musée Freud (Londres) et au Musée Sigmund Freud (Vienne).

- Clifford Yorke, Freud 1930- 1939, film de montage présenté par Anna Freud et réalisé à partir des séquences tournées par Mark Brunswick, Ruth Mac Brunswick et Marie Bonaparte, Musée Freud (Londres), 1972,1979.

- Sigmund Freud home movies, film de montage à partir des séquences tournées par Marie Bonaparte, Washington, Library of Congress, 1992.

- Il existe un film de montage inédit réalisé à partir des séquences tournées en 1931 en Autriche par René Laforgue, propriété des héritiers.

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