Gottlob FREGE / Bertrand RUSSELL : Correspondance
Juin 1902 - décembre 1904, mars-juin 1912
Texte bilingue. Traduction, notes et introduction de Catherine Webern
L'unebévue 1994, ISSN : 1168-948X, 176 p. 20€
Quand Russell écrit pour la première fois à Frege en 1902, il lui annonce qu'à partir des travaux de Cantor, il vient de trouver ce qu'il appelle la Contradiction qu'on appellera ensuite «paradoxe de Russell». Frege voulait, dans ses Lois fondamentales de l'arithmétique, concevoir les objets logiques et justifier que les nombres sont des objets. Dès réception de la lettre, il reconnaît immédiatement que «le fondement sur lequel il pensait voir se construire l'arithmétique s'est mis à vaciller», plus, que «c'est le seul fondement possible de l'arithmétique qui semble s'enliser».
Cette correspondance, inédite à ce jour en français, est célèbre parce qu'elle porte en partie sur l'énoncé du paradoxe et ses conséquences, mais son intérêt est aussi ailleurs. Frege, soumis au questionnement et aux incompréhensions de Russell, est poussé à défendre ses conceptions et peu à peu, un enjeu se resserre entre les deux correspondants sur la distinction que Frege fait entre le Sinn et la Bedeutung d'une proposition, entre le sens et la signification. La correspondance se terminera sur l'impossibilité, pour Russell, d'accepter le réel de l'objet : «Sur sens et signification, je vois sincèrement des difficultés que je ne peux pas surmonter. Sur les raisons qui m'empêchent d'adopter votre manière de voir : dans la proposition "Le Mont Blanc fait plus de 4000 mètres de haut", on affirme l'objet de la pensée et ceci est, à mon avis, un certain complexe, "une proposition objective pourrait-on dire", dans lequel le Mont Blanc lui-même est partie constituante. Si l'on n'admet pas ceci, on obtient à la fin que nous ne savons absolument rien sur le Mont Blanc lui-même».
L'intérêt suscité par l'œuvre de Frege fut très vif, en particulier chez Gödel, Wittgenstein, et Lacan. La référence de Lacan à Frege, des années soixante jusqu'à la fin de son séminaire en 1980, sera essentielle pour traiter du réel. En particulier, Lacan étaye la prééminence du semblant avec la théorie frégéenne, selon laquelle la conception du nom propre doit être liée à l'analyse de la proposition avec la fonction, ce qui entraîne une nouvelle approche de la signification du phallus et l'usage d'une topologie.