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Place Publique 2023menthe 2020i

Un certain mode d'exercice de la sensibilité

Samedi 18 mars film le matin de 9h30 à 12h

et débat l'après midi 14h à 16h30

proposé par Ninette Succab-Glissant, Mayette Viltard et Luc Parisel

 à L'Agora 64 rue du père Corentin 75014 Paris

Inscriptions sur place à 9h : La journée 20€ - Tarif réduit 10€

 


Argument

 

Détecter des mouvements de vitalisation sociale de la collectivité et de la langue
Nos préjugés [de parents et d’enseignants martiniquais] renforcent ceux de l’enfant martiniquais. On l’habitue en classe au monde du sérieux, du travail, des rapports hiérarchisés, auquel il associe naturellement la langue française. Dès qu’il est en récréation, il reprend l’usage du créole, qu’il associe au jeu, à la liberté, à l’absence de contrainte. Ce qui serait tout à fait légitime et bon, s’il ne faisait par surcroît le rapport entre créole et irresponsabilité. Nous contribuons à faciliter l’établissement de ce rapport.
La source principale de notre préjugé est que nous voyons bien en effet qu’en Martinique aujourd’hui, la langue créole est une langue dans laquelle nous ne produisons plus rien Et une langue dans laquelle un peuple ne produit plus est une langue qui agonise. Le créole s’appauvrit parce que des termes de métiers disparaissent, parce que des essences végétales disparaissent, parce que des espèces animales disparaissent, parce que toutes les séries de locutions qui étaient liées à des formes de responsabilité collective dans le pays disparaissent avec ces responsabilités. L’étude sociolinguistique des termes tombés en désuétude et qui ne sont remplacés par rien montrent qu’ils le sont parce que les Martiniquais en tant que tels ne font plus rien dans leur pays. Le patoisement qui en provient retentit sur le contenu syntaxique de la langue: elle s’appauvrit. Ainsi passe-t-on peu à peu des blocages dans la formation de l’enfant à la disparition de la Martinique en tant que collectivité – ne trouvant en place qu’une collection d’individus sans liens, ni avec leur terre, ni avec leur histoire, ni avec eux-mêmes.
C’est pourquoi toute réforme qui viserait à introduire de manière technocratique un programme créole dans l’enseignement serait d’autant plus vaine et ambigüe qu’elle n’aurait pas été conçue, discutée, décidée par les Martiniquais eux-mêmes. E. Glissant, Le discours antillais, p.596-597. 1981.

 

Lyannaj kont pwofitasyon
Le lyannaj est né dans les champs de canne où il désignait, à l’origine, ce doigté, cette dextérité ce mouvement textile par lequel les esclaves cousaient ensemble les roseaux sucrés de Babylone: les cannes à sucre. De geste technique essentiel à l’exploitation, à la dépossession, à la vampirisation des corps esclavagisés, le lyannaj est devenu, par un étrange renversement, l’expression la plus remarquable de la solidarité, de la créativité, des liens qui nous délient: ceux de la poésie, du chant, des sociétés de travail et d’entraide, des cultes et rythmes afrodiasporiques. Cible et matière première d’un appareil de capture et d’exploitation, le corps “nègre” est le premier théâtre d’opérations. La subversion du lyannaj procède, en premier lieu, d’une variation opérée au sein même d’un mouvement imposé : que ce mouvement qui lie ensemble les faisceaux de cannes puisse relier les damnés! Le lyannaj renvoie aussi aux premières pratiques de contre-plantation.
La liane ne disposant pas de tronc, son échappée vers les cieux n’est possible que parce qu’elle s’appuie sur les autres, parce qu’elle se mêle aux autres en les entremêlant : lier relier et relayer tout ce qui se trouve désolidarisé. Dénètem Touam Bona, La sagesse des lianes, p. 56.

 

L'acte de survie.
Dans l'univers muet de la Plantation, l'expression orale, la seule possible pour les esclaves, s'organise de manière non continue. L'apparition des contes, proverbes, dictons, chansons, tant dans le monde créolophone qu'ailleurs, est marqué du signe du discontinu. Les textes semblent négliger l'essentiel de ce que le réalisme en occident a, dès le départ, si bien su parcourir : la position des paysages, la leçon des décors, la lecture des mœurs, la description motivée des personnages. On y trouve jamais la relation concrète des faits et les gestes quotidiens, mais en revanche l'évocation symbolique des situations. Comme si les textes s'efforçaient de déguiser sous le symbole, de dire en ne disant pas. C'est ce que j'ai appelé ailleurs une pratique du détour, et c'est en quoi le discontinue s'évertue; le même qui sera mis en acte par cet autre détour que fut le marronnage. E. Glissant, Poétique de la relation Poétique III, pp. 82-83.

 

Les groupes-sujets entrent nécessairement en faillite
De toute manière, la dimension politique dérive vers une dimension micropolitique et analytique, qui est fondamentalement insaisissable en termes de militantisme… Cette dimension micropolitique va réinjecter de manière continue tous les éléments a-signifiants, tous les éléments de singularité ; elle va rendre complexe les questions au moment où, finalement, elles paraissaient être assez simples : au moment où on pensait être arrivés à un accord. C’est exactement à ce moment que l’on voit que ce n’est pas du tout ça, car l’existence elle-même réémerge dans sa singularité. C’est la dimension – je dirais la ligne de fuite – de la micropolitique hors du champ du militantisme.
Cette idée était déjà présente, il y a longtemps, dans le texte sur la transversalité, quand je disais que le groupe-sujet se définit par le fait d’assumer sa finitude. Les groupes que nous avons créés pour militer, pour changer la vie vont nécessairement entrer en faillite – c’est précisément cela qui permet le caractère processuel de l’entreprise, son caractère d’engendrement de nouveaux univers, d’engendrement de rhizomes de toute nature. Suely Rolnik Félix Guattari, Micropolitiques, pp. 419-427.

 

La psychanalyse, un élément possiblement perturbateur
Mobiliser une certaine lecture de l’analyse qui préserve son caractère perturbateur dans et hors les murs des cabinets ou même au-delà des frontières du domaine de la « santé mentale ». Quand je parle du caractère perturbateur de l’analyse, je me réfère à ce travail minutieux qui consiste à retirer des territoires – individuels, de groupes, institutionnels, etc. – les décombres d’images figées qui, parce qu’elles empêchent l’accès à la consistance des processus qui sont en train d’être expérimentés, obstruent les passages, entravent toute possibilité de mouvement. La dissolution de ces images, l’abandon d’une position purement défensive, est nécessaire pour retrouver la sensibilité à de tels processus, sans laquelle il ne peut y avoir création de nouveaux territoires de vie. En somme, je définis l’analytique comme un certain mode d’exercice de la sensibilité qui permet l’expansion des processus de singularisation et cela non pas comme prérogative d’un travail spécialisé (bien que je n’aie, moi non plus, rien contre ce type de spécialité) et encore moins comme objet du monopole de certaines corporations. Suely Rolnik Félix Guattari, Micropolitiques, pp. 419-427.

 

Devant le seuil dangereux de dissolution d’un mode et de formes d’existences, il y a nécessité de s’y confronter.
À mon avis, il y a nécessairement un déphasage entre l’appréhension immédiate que l’on peut avoir d’une intervention directe sur le terrain et ce qu’elle peut devenir ultérieurement, ce que j’appellerais son « efficacité sémiotique ».
On ne peut pas avoir la prétention de transmettre des messages, des idées : il y a toujours aussi une espèce de seuil a-signifiant, une espèce de relation d’appréhension qui est de l’ordre de l’affect, de l’ordre de l’interrogation muette. Suely Rolnik Félix Guattari, Micropolitiques, pp. 419-427.

 

Quelques références :

Félix Guattari Suely Rolnik, Micropolitiques, [1982], chapitre Conversation d’aéroport, Les empêcheurs de penser en rond, 2007.
Marcelo Real, “Le plan guattarien de composition des sensations” in Guattari + 30, Chimères 2022/2 (N° 101), pp. 167 à 178.
Dénètem Touam Bona, La sagesse des lianes, Cosmopoétique du refuge, 1, post-éditions, 2022
Malcolm Ferdinand, Une écologie décoloniale. Penser l’écologie depuis le monde caribéen, Seuil, 2019,
Édouard Glissant : Le Discours antillais, chapitre Langues, langage, Paris, Gallimard, 1981, réimpr. 1997.

Poétique de la relation: poétique III, Gallimard, 1990, pp. 82-83.
Walter D. Mignolo, La désobéissance épistémique – Rhétorique de la modernité, Logique de la colonialité, et Grammaire de la décolonialité, Édité chez P.I.E. Peter Lang, 1997.
Karen Barad, À la rencontre de l’univers, La physique quantique et l’enchevêtrement matière-signification, 2007, traduit de l’américain par Denis Petit, L’unebévue-éditeur,
Tome 1- L’AFFAIRE COPENHAGUE, Science et éthique de l’enchevêtrement matière-signification, 2020.
Tome 2- DIFFRACTIONS, Différences, contingences, et enchevêtrements qui importent, 2022 ;
Tome 3- LE RÉALISME AGENTIEL Intra-actions et pratiques matérielles-discursives, 2023.
Jacques Lacan, La troisième Pas-tout Lacan, site elp.

Le symptôme, Conférence à Genève, 1975, Pas-tout Lacan, site elp.

 

 

 

menthe 2020iLa menthe à l'eau 2022

Reprenons nos esprits

le samedi 19 mars le matin de 9h30 à 12h

 à L'Agora 64 rue du père Corentin 75014 Paris

 


Actualité


Il s'agit du fait, irréversible jusqu'à nouvel ordre, que le complexe de castration ne saura jamais trouver de solution tant que la société contemporaine persistera à lui confier un rôle inconscient de régulation sociale et on peut exemplifier le rôle de révélateur de ces impasses lors des phases de régression sociale, par exemple quand les régimes fascistes, dictatoriaux, de pouvoir personnel, présidentiel, font naître des phénomènes imaginaires de pseudo-phallicisation collective, qui aboutissent à une totémisation plébiscitaire dérisoire d'un chef.

Félix Guattari Psychanalyse et transversalité 1966


Dans la lignée de Marcuse et de L'homme unidimensionnel , Gilles Châtelet analyse « l'homme moyen » des démocraties-marchés dans lesquelles règne la « Triple Alliance politique, économique et cybernétique » qui prétend « auto-organiser >> la société civile par la fabrication de consensus autour d'un idéal de conformité. Les maîtres-mots du nouvel ordre mondial sont consommer, communiquer, informer. Le politique est congédié au profit du « communicatif ». On se personnalise mais on reste congruant, « c'est-à-dire identique modulo d'une certaine opération de consommation, de relation, ou de communication » . La diversité n'est assurée que par cette opération qui sépare l'individuel et le collectif. Gilles Châtelet, en mathématicien chevronné, montre un traitement du nombre « asservi en majorités lourdes de tous les égoïsmes et de toutes les inerties », une sorte de masse dont la consistance ne repose en fin de compte que sur l'expansion indéfinie (« allant de soi ») de l'individualisme possessif. Le collectif se dégrade en « agrégats », « grumeaux », particularismes. Philosophe conséquent, définis¬sant une zone de l'ordre de l'intolérable , il en appelait à la nécessité de simplifier et (d') approfondir la Démocratie en révélant une affinité plus subtile entre l'Individuel et le Collectif. Cette dimension nouvelle sautera par-dessus les prédictions, les choix réversibles et les « opinions », les pacotilles de la Diversité et des quant-à-soi .
De plus, outre les dangers de populisme d'un tel fonctionnement des démocraties-marchés, Gilles Châtelet cernait dans l'exaltation d'un « désir de pathétique » propre à provoquer des vagues d'indignation dûment organisées par les pouvoirs, une véritable menace de prolifération de psychologies consuméristes exigeant une satisfaction immédiate dans le culte ambiant de la vitesse et de la performance. Les analyses de Gilles Châtelet ont été amplement confirmées par l'émergence d'une forme inédite de pouvoir, actuellement investie par la figure de « la démocratie lacrymale » Celle-ci se prolonge en « démocratie compassionnelle » au service de la réactivité et de l'urgence mais s'accorde fort bien du bruit et de la fureur pour masquer son incurie . Avec, en point d'orgue orchestré politiquement, ses « cellules d'aide psychologiques », la déferlante « psy » s'est engouffrée à cet endroit, occupant une fonction sociale d'effacement des traumas, de promesse de deuils quasi instantanés pour toutes les sortes de victimes que les médias donnent en pâture journellement. Chaque drame des victimes de crimes, de révolte, ou de déchaînement d'éléments naturels sont ainsi propres à sus¬citer la peur, l'indignation, à la fois alimentées et calmées par la sorte de mantra qui ponctue le récit de l'événement par les médias : « Une cellule psychologique s'est immédiatement rendue sur place ». On peut remarquer que l'indignation collective est alimentée, alors que l'angoisse individuelle est amortie. C'est dans cette distorsion entre le niveau collectif propice à démagogie et le niveau individuel rendu apathique que se fabrique une certaine indifférence à la violence humaine.

Gilles Châtelet, Les animaux malades du consensus, édition établie par Catherine Paoletti, Lignes, 2010.
Extrait de 'Passer las plombs, AM Ringenbach, L'unebévue N°28.


Je le dis pour tous les analystes, ceux qui traînent, ceux qui tournent, empêtrés dans les rapports oedipiens du côté du père : quand ils n'en sortent pas de ce qui se passe du côté du père, ça a une cause très précise. c'est qu'il faudrait que le sujet admette que l'essence de la femme ce ne soit pas la castration et pour tout dire que ce soit à partir du réel, à savoir un petit rien insignifiant-je ne dis pas ça au hasard - elles ne sont pas castrables, parce que le phallus, dont je souligne que je n'ai point encore dit ce que c'est, eh bien, elles ne l'ont pas. C'est à partir du moment où c'est de l'impossible comme cause que la femme n'est pas liée essentiellement à la castration que l'accès à la femme est possible dans son indétermination.

Lacan, ... ou pire, séance du 12-1-72.


L'indétermination ou l'imprévisible nature du temps a quelque chose d'effrayant, mais penser avec la précarité fait que « l'indétermination rend la vie possible ». Anna Tsing utilise « le récit comme méthode » : le récit n'est pas le moyen de diffusion d'un savoir stabilisé, il participe de la construction de ce savoir en étant une « pratique de connaissance » et ce faisant, enregistre dans sa forme même les évolutions du rapport à la Terre, à ses vivants, à ses paysages.

Anna Tsing, citée par A-M Vanhove. L'unebévue N°38. 2020.



Lacan, Le moment de conclure, Quelques extraits de la séance du 11-4-78


J'ai énoncé, en le mettant au présent qu'il n'y a pas de rapport sexuel. C'est le fondement de la psycha¬nalyse. Tout au moins me suis-je permis de le dire. Il n'y a pas de rapport sexuel, sauf pour les générations voisines, à savoir les parents d'une part, les enfants de l'autre. C'est à quoi pare-je parte au rapport sexuel - c'est à quoi pare l'interdit de l'inceste.
Comment savoir où s'arréter dans l'interprétation des rêves ? Il est tout à fait impossible de comprendre ce qu'a voulu dire Freud dans L'interprétation des rêves. C'est bien ce qui m'a fait, il faut bien le dire, délirer quand j'ai introduit la linguistique dans ce qu'on appelle une pâte bien efficace, tout au moins nous le supposons, et qui est l'analyse.
Qu'est-ce qu'il en était au temps de Freud ? Il y a évidemment une question d'atmosphère comme on dit, de coordonnées qu'on appelle culturelles. Je veux dire qu'on reste dans les pensées et agir par l'intermédiaire de la pensée, c'est quelque chose qui confine à la débilité mentale. Il faudrait qu'il existe un acte qui ne soit pas débile mental. Cet acte, j'essaye de le produire par mon enseignement. Mais c'est quand même du bafouillage. Nous confinons ici à la magie. L'analyse est une magie qui n'a de support que le fait que, certes, il n'y a pas de rapport sexuel, mais que les pensées s'orientent, se cristallisent sur ce que Freud imprudemment a appelé le complexe d'Œdipe.
Je crois qu'en m'employant à la psychanalyse, je la fais progresser. Mais en réalité, je l'enfonce. Comment diriger une pensée pour que l'analyse opère ?
Dans le passage du signifiant, tel qu'il est entendu, au signifié, il y a quelque chose qui se perd, en d'autres termes, il ne suffit pas d'énoncer une pensée pour que ça marche
Il y en a trois, trois générations, entre lesquelles il y a du rapport sexuel. Ça entraîne bien entendu toute une série de catastrophes et c'est ce dont Freud, somme toute, s'est aperçu.
Pourquoi le désir passe-t-il à l'amour ? Les faits ne permettent pas de l'expliquer. Il y a sans doute des effets de prestige. Ce qu'on appelle la supériorité sociale doit y jouer un rôle ; en tous les cas, pour Freud, c'est vraisemblable. L'ennui c'est qu'il le savait. Il s'est aperçu que cet effet de prestige jouait. du moins c'est vraisemblable qu'il s'en soit aperçu.
Je m'imagine que l'analyse, je veux dire en tant que je la pratique, c'est ce qui m'a rendu borné. C'est, il faut le dire, une excellente méthode de crétinisation que l'analyse. Mais peut-être que je me dis que je suis borné parce que je rêve, je rêve de l'être un peu moins.



Lacan, La topologie et le temps
Quelques extraits 1978-79

 

La topologie est imaginaire. Elle n'a pris son développement qu'avec l'imagination. Il y a une distinction qui est à faire entre l'imaginaire et ce que j'appelle le symbolique. Le symbolique c'est la parole. L'imaginaire en est distinct.
19 décembre 1978

La métaphore du noeud borroméen à l'état le plus simple est impropre. C'est un abus de métaphore, parce que en réalité, il n'y a pas de chose qui supporte l'imaginaire, le symbolique et le réel. Qu'il n'y ait pas de rapport sexuel, c'est ce qui est l'essentiel de ce que j'énonce. Qu'il n'y ait pas de rapport sexuel parce que il y a un Imaginaire, un Symbolique et un Réel, c'est ce que je n'ai pas osé dire. Je l'ai quand même dit.
Il est bien évident que j'ai eu tort, mais je m'y suis laissé glisser. Je m'y suis laissé glisser tout simplement. C'est embêtant, c'est même plus qu'ennuyeux. C'est d'autant plus ennuyeux que c'est injustifié, c'est ce qui m'apparaît aujourd'hui, c'est du même coup ce que je vous avoue. Bien !
9 janvier 1979

Je suis plutôt embêté de ce que je vous ai annoncé la dernière fois, à savoir qu'il faut un troisième sexe. Ce troisième sexe ne peut pas subsister en présence des deux autres. Il y a un forçage qui s'appelle l'initiation. La psychanalyse est une anti-initiation. L'initiation, c'est ce par quoi on s'élève, si je puis dire, au phallus. C'est pas commode de savoir ce qui est initiation ou pas. Mais enfin, l'orientation générale, c'est que le phallus, on l'intègre. Il faut qu'en l'absence d'initiation, on soit homme ou on soit femme. Bon.
16 janvier 1979

 

 

 

 

 La menthe à l'eau

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Place publique et menthe à l'eau furent à la source de ce que, à partir des années cinquante, on a appelé le courant de psychothérapie institutionnelle, et dont Jean Oury et Félix Guattari, avec d’autres, ont été les chevilles ouvrières.
La menthe à l’eau est une méthode schizo, une surface d’accrochage, un langage de reconstruction sémantique, avec des signifiants pris au hasard des rencontres, au lieu d’aller les chercher dans les livres ou dans la bibliothèque de Sainte- Anne. Des bouts de discours, tenus par les uns et les autres, qui s’entrechoquent dans un hasard objectif.
La méthode freudienne, dans la psychanalyse en France, est ainsi placée dans ses plus étroits rapports avec la pratique poétique.

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L’exploitation du désir, c’est la grande invention du discours capitaliste, parce qu’il faut l’appeler quand même par son nom. Ça, je dois dire, c’est un truc vachement réussi.

Lacan, 4 février 1973, Milan.

 
Mais ces hétérotopies de crise disparaissent aujourd'hui et sont remplacées, je crois, par des hétérotopies qu'on pourrait appeler de déviation : celle dans laquelle on place les individus dont le comportement est déviant par rapport à la moyenne ou à la norme exigée.
Ce sont les maisons de repos, les cliniques psychiatriques; ce sont, bien entendu aussi, les prisons, et il faudrait sans doute y joindre les maisons de retraite, qui sont en quelque sorte à la limite de l'hétérotopie de crise et de l'hétérotopie de déviation, puisque, après tout, la vieillesse, c'est une crise, mais également une déviation, puisque, dans notre' société où le loisir est la règle, l'oisiveté forme une sorte de déviation.

Michel Foucault « Des espaces autres » Hétérotopies. 1967.

 

La poésie, c’est le projet fou de changer le nom de toutes les choses. Je suis convaincu que c’est une tâche poétique, plus encore que politique, qui nous attend. C’est la fonction désirante qui doit transformer le nom de toutes les choses. Or, cela, je le vois arriver. Je vois les lieux où cela se fait déjà. Mais il y a deux dangers. Le premier est la réabsorption des luttes dans des logiques d’identité. D’autre part, du côté des luttes écologiques, je me méfie du naturalisme et de la concentration sur la question locale, sur le localisme néonationaliste. De la même façon, la question des politiques d’identité sexuelle sature les débats, en se concentrant sur l’enjeu de la loi, mais pas du tout sur les questions du désir et de la liberté. Par exemple, cette obsession à tout réduire au consentement. Au secours. J’aimerais entendre parler du désir ; il est où le désir dissident ? Elle est où la puissance désirante des corps qui ont été objectivés et sexualisés pendant l’histoire ? Je n’entends que consentement ou pas. Le féminisme binaire et normatif est pour moi dans un moment de régression hyperbolique. Ce n’est plus un interlocuteur pour moi. Je ne comprends plus le féminisme naturaliste. Ma démarche trans est une démarche féministe révolutionnaire.
Ce qu’il faut combattre, c’est le masculinisme, pas les hommes. Ce qui m’intéresse, ce ne sont pas les politiques d’identité féministes, gay ou lesbienne. C’est le corps politique !

Paul B. Preciado, Dysphoria mundi, 2022

 

 Les délégués, les représentants, les tenants lieu, les tenanciers du signifiant imposent le régime d’une loi de signification : quoi que tu aies fait, cela doit signifier quelque chose; à chaque signifiant son signifié, à chaque signifié son signifiant, c’est le règlement ! La culpabilité institutionnelle consiste à considérer le moindre acte local, la moindre manifestation sémiotique singulière comme devant avoir un répondant dans une machine centrale d’encodage des significations. Mais plutôt que d’individuer et de centraliser hiérarchiquement le système des signifiants, une politique d’agencement de strates sémiotiques a-signifiantes décentralisées aura à déjouer les effets de signification et de culpabilisation. Le signifiant, dès lors, cessera de tomber comme une pluie grise sur l’ensemble institutionnel pour laisser sa place, enfin, à l’humour.

Félix Guattari, La Grande Motte,
vendredi 2 novembre 1973 matin

 


 

Place Publique 2023

menthe 2020i Les cendres de Freud

Berggasse 19 en 2023

Samedi 17 juin 2023 film le matin et conférence l'après midi

proposé par Sylviane Lecoeuvre, Mayette Viltard

 à L'Agora 64 rue du père Corentin 75014 Paris


Argument

 

Vous, [le Musée Freud] vous ne méritez pas de porter ce nom ! Voilà ce que Lydia Marinelli, conservatrice du Musée Sigmund Freud de Vienne de 1999 à 2008, pouvait entendre à cette époque au cours d’une formation houleuse organisée à l’endroit de jeunes experts en muséologie.
Il s’agissait de savoir ce qu’est un musée, quelle fonction il doit remplir et sous quelles conditions. « Je trouve que vous, vous ne méritez pas de porter ce nom ! Vous ne devriez pas vous appeler musée. Ce qu’on voit ici n’a vraiment rien à faire avec un musée ; les musées montrent des œuvres d’art, des collections mais ici ... »
Un participant à cette formation interrompit sa phrase à cet endroit [...]
Le professeur essaya de la terminer en renvoyant les auditeurs aux différentes définitions de ce concept de musée, ce qui était précisément l’objet de cette formation. [...] Dans ces réserves exprimées le Musée Freud de Vienne était considéré comme le produit d’une usurpation de nom. En résumé, l’appellation « lieu de mémoire » aurait semblé plus approprié [...]

Lydia Marinelli, Body Missing, p.215. 2009.

 

En 1975, lors de ma première visite, c’était un appartement aux murs nus, sans meubles avec quelques vitrines renfermant des manuscrits et d’autres souvenirs mineurs. Visuellement, il était dominé par des photographies (d’Edmund Engelman prises en 1938) grandeur nature de ce qu’il était autrefois, des photographies qui remplaçaient tous les objets qui avaient été transférés à Londres.
Il y avait une atmosphère dérisoire, peut- être délibérément induite pour rappeler aux visiteurs une perte que la guerre avait infligée à Vienne mais cela faisait tout de même penser qu’un musée de faux souvenirs est un faux musée – un musée-écran aurait dit le freudien.

John Forrester, Collector, Naturalist, Surrealist. Dispatches From The Freud Wars, p 132. 1997.

 

Ce qui déclenche ce sentiment d’incongruence, c’est que ce musée ne donne pas à voir ce que les institutions donnent à voir, ce qui déçoit les visiteurs au lieu de les honorer [...]
Attaché aux différentes représentations associées à l’adresse de Freud un des visiteurs qui, dans les années 1960, se rendit à la maison de Freud au 19, Berggasse et qui, déçu, ne trouva qu’une porte miteuse fermée était Jacques Lacan. Qu’espérait-il voir en dehors du seul spectacle d’un immeuble ? [...] C’est justement cette fonction de réassurance que le Sigmund Freud Museum de Vienne ne peut remplir. L’espoir de trouver les traces d’une histoire particulière, individuelle s’en trouve contrarié.

Lydia Marinelli, Body Missing, pp. 215-221.


[...] Un des enjeux principaux de la rénovation (2018-2020) de ce musée qui a ouvert en 1971 à Vienne, à l’adresse où Freud a passé toute sa vie, était de travailler avec le vide. C’était une tâche cruciale [...] On ne peut pas faire comme si l’Anschluss n’avait jamais existé et la participation de l’Autriche au IIIème Reich n’avait pas eu lieu. Le divan lui-même est simplement évoqué. Des détails propres à une muséographie de l’évocation plutôt que de la démonstration, qui invitent à la réflexion sur l’absence et la présence, à l’image de la psychanalyse elle-même.

Daniela Finzi, Mercredi 16 décembre 2020, Radio France, Affaires en cours, Le Sigmund Freud Museum, « une réflexion sur l’absence propre à la psychanalyse ».

 

Il s’agit d’évoquer pour commencer à imaginer. Le visiteur arrive avec ses propres envies et images de Freud, de son cabinet, de son divan. S’il quitte ce musée en ayant eu le temps d’imaginer et d’entrer dans son rêve, ayant vu une trace, un reste, et non pas le tout, je pense que la visite est réussie.

Daniela Finzi, 16 décembre 2020, Radio France.

 

Vous avez laissé de côté ce que l’émigré éprouve de façon particulièrement douloureuse. C’est - et c’est tout ce qu’on peut dire : la perte de la langue dans laquelle on a vécu et pensé et qu’on ne remplace jamais par une autre langue malgré tous nos efforts pour la ressentir. Je saisis et observe cruellement à quel point les expressions familières en anglais me font défaut et combien je regimbe à abandonner l’écriture gothique.
En même temps, on a souvent entendu qu’on n’était pas allemand. Et on est bien sûr très content de ne plus avoir besoin d’être allemand.

Sigmund Freud à Raymond De Saussure, 11 juin 1938.

 

La trace est l’apparition d’une proximité, quelque lointain que puisse être celui qui l’a laissée. L’aura est l’apparition d’un lointain, quelque proche que puisse être ce qui l’évoque. Avec la trace, nous nous emparons de la chose ; avec l’aura, c’est elle qui se rend maitre de nous.

Walter Benjamin, Paris, Capitale du XIXème siècle, P. 464. 1989.

 

Pour qu’un fragment de passé puisse être touché par l’actualité, il ne doit y avoir aucune continuité entre eux.

Walter Benjamin, p. 487.

 

Cher Papa !
[...] Je mène à présent une vie de vagabonde. En général je mange chez Mathilde, aujourd’hui j’étais chez tante Pauli, je suis annoncée pour demain chez les Winterstein et je vais ce soir avec Ernst chez Lampl. Parfois, dans les intervalles, je suis aussi à la maison, où j’ai 8 ou 9 pièces à mon entière disposition. [...] J’aime beaucoup être chez Mathilde, elle ne sort pas beaucoup et elle est fantasti¬quement agréable [...] L’appartement va bien, il commence lentement à se remettre en ordre. Nous nous retrouvons avec une très belle salle de bain pourvue d’un poêle au gaz et la cuisine a été agran¬die [...] Demain, c’est ton anniversaire de mariage ; n’est-ce pas un bon prétexte pour t’envoyer une quantité spéciale de saluts et de baisers ? C’est ce que je fais en restant toujours
Ton Anna
Et tu ne m’écriras donc pas ?

Syracuse, le 18 septembre 1910

 

Ma chère Anna
Je te remercie beaucoup pour ta chère lettre arrivée aujourd’hui en provenance de l’époque de ta solitude, aujourd’hui déjà révolue [...] Je suis très content que tu discutes facilement avec Mathilde, elle est vraiment la référence à suivre et elle t’aime beaucoup [...]
Je suis aussi très impatient de voir comment avancent les rénovations domestiques. Dis à Maman que si le tissu de mon bureau est trop taché, il faut que Spitz le fasse changer avant mon arrivée. Qu’on prépare aussi de la Karlsbad pour prolonger la cure entamée.
Tu le vois, mes pensées sont déjà plus à la maison que chez Archimède, qui a son monument ici, sous ma fenêtre, près de l’Aréthuse.
Je te salue, ainsi que tous les autres

De tout cœur, ton Papa.

Sigmund Freud - Anna Freud, Correspondance (1904-1938), pp 54-58

 

Quelques textes :

Sigmund Freud (1899), « Über Deckerinnerungen », « Sur les souvenirs-écrans », in Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1973.
Sigmund Freud (1900), Die Traumdeutung, l’Interprétation des rêves, Paris, PUF,1967.
Sigmund Freud (1901), Zur Psychopathologie des Alltagslebens, Psychopathologie de la vie quotidienne, Paris, Payot, 1948.
Sigmund Freud (1925), Selbstdarstellung, Ma vie et la psychanalyse, Paris, Gallimard, 1949.
Walter Benjamin, Paris, Capitale du XIXème siècle : Le livre des passages, 3ème édition, Paris, Les Editions du Cerf, 2009.
Lydia Marinelli, « » Body Missing « at Bergasse 19 », texte rédigé en anglais et édité à titre posthume, in American Imago, vol 66, n°2, pp 161-167, 2009. Edité la même année en allemand, in Tricks der Evidenz, Wien, Turia+Kant, pp.213-221.
Daniela Finzi, « Le Musée Freud de Vienne : un musée de soi-même », in Le Coq Héron, 2022/2, n°249.
Coll, sous la direction de Monika Pessler et Daniela Finzi, Freud IX. Berggasse 19. Ursprungsort der Psychoanalyse, Berlin, Hatje Cantz Verlag, 2020.
Agatha Boulanger, Signe Frederiksen, Jules Lagrange, Ce que Laurence Rassel nous fait faire, Paris, Paraguay Press, 2020.

Correspondances.
Sigmund Freud, Lettres à Wilhelm Fliess, 1887-1904, Paris, PUF, 2006.
Sigmund Freud- Anna Freud, Correspondance,1904-1938, Paris, Fayard, 2012.
Sigmund Freud, Lettres à ses enfants, Paris, Aubier,2012.
Sigmund Freud- Ernest Jones, Correspondance complète, 1908-1939, Paris, PUF, 1998.

et

Correspondances Freud-Ferenczi, Freud-Silberstein, Alix et James Strachey, Lynda Hart Performer le sado-masochisme, Michael Burlingham The last Tiffany, Jeffrey Masson Le reel escamoté, Ines Rieder Diana Voigt Sidonie Csillag, Elisabeth Marton, Mon nom était Sabina Spielrein (dvd), Eran Rolnik Freud à Jérusalem, Pasolini Les cendres de Gramsci.


Précédentes conférences de Sylviane Lecoeuvre :

 

Lydia Marinelli, 19 Berggasse : 2010

Freud et ses vieilles divinités dégoûtantes : 2012

La caméra de Lehrman et le divan de Freud 2013

Science des rêves et science des revues : 2014

Le cabinet du Professeur Freud : 2017

 

 

Inscriptions sur place à 9H

Participations aux frais : la journée 20€ - Tarif réduit 10€

 

 

Place publique 2024

menthe 2020i

Le réalisme magique

Rêves freudiens, rêves indiens, rêves canins

avec, entre autres,

Mayette Viltard, Michèel Duffau, Laurent Gillette, Xavier Leconte

samedi 4 mai de 9h à 16H30

à L'Entrepôt 7 rue Francis de Pressensé Paris 75014

Métro Pernety

 

 

PLACE PUBLIQUE 2024

menthe 2020i

Journée Karen Barad

Le transfert comme enchevêtrement

Mayette Viltard, Denis Petit

samedi 5 Octobre de 9h à 16H30

à L'Agora 64, rue du Père Corentin  Paris 75014

 

Place Publique 2023

menthe 2020iÇa trouble tout

Samedi 15 Avril film le matin de 9h30 à 12h

présenté par Mayette Viltard

et conférence l'après midi 14h à 16h30 :

Production de subjectivité dans le cadre de l’exil forcé lié aux minorités sexuelles sexuées et de genre

par Mathilde Kiening
à L'Agora 64 rue du Père Corentin 75014 Paris

 


Argument

 

Tout part d’une petite histoire de vacances. Ça se passe dans une voiture, dans une famille. Ça concerne la Une du Monde. Ça concerne la naïveté : comment des exclues peuvent exclure ? C’est l’idée même d’exclusion qui ne convient pas. Exclure qui ? De quoi ? Dans quels contextes ?
De retour à Paris, je me retrouve à chercher des psy*spy disponibles pour rencontrer quelques personnes queer en exil. Queer – personne – exil. Aucun mot ne va pour dire ce dont il s’agit parce qu’il n’y a rien de spécial et tout à la fois, comme toujours quand de l’analytique s’enclenche.
Rien de spécial : la Préfecture, l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides, la Cour Nationale du Droit d’Asile, le récit, la liberté, le Comité pour la Santé des Exilé-e-s, les psychologues, les docteurs, l’avocat-e, la Méditerranée, la Libye, Lesbos, le corps, l’esprit, l’âme, la psyché, la vie psychique, le conscient, l’inconscient, le sujet, l’œdipe, la triangulation, le phallus, les matraques, du pâté pour s’intégrer.
Trouble.
« Percevoir, ressentir et nommer autrement. Connaître différemment. Aimer différemment. Il ne suffit pas d’analyser la condition néolibérale, il faut changer les noms de toutes les choses. […] Je propose ici de déplacer la notion de sujet politique, fiction dominante de la modernité patriarcale et coloniale, qui présuppose une théorie de la souveraineté, une représentation verticale du pouvoir, un récit individualiste de la sujétion et de l’autonomie, et de commencer à réfléchir aux différents processus par lesquels un corps vivant peut devenir un symbiote politique ». Paul B. Preciado, Dysphoria Mundi, p. 58.


Quelques références :

Butler J., Le pouvoir des mots - discours de haine et politique du performatif, traduit de l’anglais par Charlotte Nordmann, Paris, Amsterdam, 2017.
Chémery V et al., « La race n’existe pas, mais elle tue », Vacarme, n°71, printemps 2015.
Cleto F., Camp. Queer Aesthetics and the Performing Subject : a Reader, University of Michigan Press, 1999.
Guattari F., De Leros à La Borde, Nouvelles Editions Lignes, 2012.
Hart L., La performance sadomasochiste. Entre corps et chair. Traduit par Annie Lévy-Leneveu, Paris, EPEL, 2003.
Preciado P.B., Dysphoria Mundi, Paris, Grasset, 2022.


 

Inscriptions sur place à 9h.

Participation aux frais:

la journée 20€ - tarif réduit 10€