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PLACE PUBLIQUE 2025

menthe 2020i

Encore une fois... la poésie

Les années trente seraient-elles devant nous ?

par Xavier Leconte et présenté par Mayette Viltard

samedi 15 mars de 9h à 16H30

à L'Agora 64, rue du Père Corentin  Paris 75014
Métro ligne 4 Porte d'Orléans, Bus 38 & 92, Tram T3a
 

  Argument

L’absolu est le grand « dé-réalisateur »


William James, Un univers pluraliste, p. 43, cité parJean Wahl dans
Les philosophies pluralistes d’Angleterre et d’Amérique, p. 183.

 

Lorsque j’ai repris récemment une lecture du livre de Jean Wahl, Les philosophies pluralistes d’Angleterre et d’Amérique (1920), une surprise m’attendait. J’avais reconstruit une sorte de chronologie imaginaire qui situait Jean Wahl comme arrivant après la bataille, alors qu’il en était le contemporain. Lorsque paraît son livre Vers le concret en 1932, dans lequel il nous propose sa grande étude sur La philosophie spéculative de Whitehead, il m’avait échappé que seulement trois années s’étaient écoulées depuis la parution du livre de Whitehead Procès et réalité en 1929. Autrement dit, par ricochet, il m’est immédiatement apparu que son livre sur Les philosophies pluralistes de 1920 précédait la plupart des livres philosophiques de Whitehead ; un des premiers de ces livres, Les principes de la connaissance naturelle, est paru en Angleterre en 1919. Il est vrai par contre que William James, auquel Jean Wahl consacre le livre III dans Les philosophes pluralistes, meurt en 1910, à l’âge de 68 ans. Les discussions que restitue Jean Wahl entre les philosophes monistes ou pluralistes, idéalistes ou réalistes, absolutistes ou relativistes, de la fin du 19ème et du début du 20ème siècle sont d’une brûlante actualité ! Jean Wahl ne fait pas simplement œuvre d’historien de la philosophie. Les oppositions font place à des ouvertures créatives. Nous aurons à nous arrêter en particulier sur cette phrase de Jean Wahl qui surgit au cœur de sa conclusion du livre : « Le “relatif” quand il est senti, tel est l’Absolu ». Voilà qui nous prend à contre-pied et nous laisse pour le moins surpris !
Lacan dans sa thèse de 1932, De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, se réfère à plusieurs endroits à William James et souligne dans une note l’importance pour lui de Bergson et des philosophes réalistes américains : « Le point de vue auquel nous nous rattacherions le plus volontiers est celui des réalistes américains, pour lesquels sensation et matière tirent leur commune origine d’une “expérience neutre”, à partir de laquelle se différencient la connaissance et l’objet ».
Mathias Girel préface la réédition de Vers le concret, chez Vrin, en 2004, en ces termes : « Enfin, l’intérêt de Wahl pour Whitehead ne s’estompe pas après Vers le concret : il revient sans cesse à cet auteur dans ses cours, dans le Traité de métaphysique. C’est cependant la première conférence du Collège philosophique, que Wahl fonde en 1946, qui illustre le mieux la place qu’il accorde toujours à Whitehead, pris comme symbole de la philosophie contemporaine et comme représentant d’une philosophie américaine qui ne s’est enfermée ni dans une forme réductrice de naturalisme, ni dans le positivisme logique du Cercle de Vienne. »
Dans Le Monde du 22 janvier 1947, on peut lire : « C'est à l'un des maîtres les plus écoutés de notre université, M. Jean Wahl, professeur de philosophie en Sorbonne, qu'est venue, à son retour d'Amérique où il enseigna pendant la guerre, l'idée de fonder à Paris un Collège philosophique. Il se proposait ainsi de donner à tous, étrangers et Français, la possibilité d'écouter sur la montagne Sainte-Geneviève, 15, rue Cujas, les voix autorisées des intellectuels qui lui apporteraient leur concours et participeraient des tendances culturelles les plus diverses : philosophie classique, données bergsoniennes ou marxistes, philosophie de l'existence, apport de Whitehead et, dès que possible, psychologie des formes, positivisme logique et psychanalyse ».
Il va falloir attendre le 13 février 1973, pour retrouver une référence de Lacan à William James dans son séminaire Encore : « L’univers, à partir de certaines petites lumières que j’ai essayé de vous donner, l’univers c’est une fleur de rhétorique. Alors ça pourrait peut-être aider à comprendre, avec cet écho littéraire, que le Moi peut être aussi fleur, fleur de rhétorique sans doute, qui pousse du pot du principe de plaisir, de ce que Freud appelle Lustprinzip, et de ce qui se satisfait du blablabla. Car c’est ça que je dis quand je dis que l’inconscient est structuré comme un langage. il faut que je mette les points sur les i ».
« L’univers » de William James auquel Lacan fait référence ne ressemble pas vraiment au Pluralistic Universe dont Jean Wahl sait nous donner la saveur à travers de nombreuses citations de James. Par exemple : « Un ami me disait un jour que la pensée de mon univers le rendait malade comme la vue d’une masse de vers horriblement grouillante dans leur lit de charogne. » Et Wahl de commenter : « Devant le monde mouvant du pluraliste, incessamment agité de vagues qui se croisent, le moniste éprouve une sorte de mal de mer ». Jean Wahl, Les philosophies pluralistes... p. 163.


Les années 30 sont devant nous


par Giorgio Agamben


En novembre 1990, Gérard Granel, l’un des esprits les plus lucides de la philosophie européenne de l’époque, donnait à la New School for Social Research de New York une conférence dont le titre, certes significatif, n’a pas manqué de susciter quelques réactions scandalisées chez les bien-pensants : Les années trente sont devant nous. Si l’analyse menée par Granel était authentiquement philosophique, ses implications politiques étaient en effet immédiatement perceptibles, puisqu’il s’agissait, dans le syntagme chronologique apparemment anodin, purement et simplement du fascisme en Italie, du nazisme en Allemagne et du stalinisme en Union soviétique, c’est-à-dire des trois tentatives politiques radicales pour « détruire et remplacer par un "nouvel ordre" celui dans lequel l’Europe s’était jusqu’alors reconnue ». Granel a eu beau jeu de montrer comment la classe intellectuelle et politique européenne avait été aussi aveugle à cette triple nouveauté qu’elle l’était — dans les années 1990 comme aujourd’hui — à sa résurgence inquiétante, quoique modifiée. On a peine à croire que Léon Blum, chef de file des socialistes français, ait pu déclarer, commentant les élections allemandes de juillet 1932, que, face aux représentants de la vieille Allemagne, « Hitler est le symbole de l’esprit de changement, de renouveau et de révolution » et que, par conséquent, la victoire de von Schleicher lui paraîtrait « plus désolante encore que celle d’Hitler ». Et comment juger de la sensibilité politique de Georges Bataille et d’André Breton qui, face aux protestations suscitées par l’occupation allemande de la Rhénanie, pouvaient écrire sans honte : « nous préférons de toute façon la brutalité anti-diplomatique d’Hitler, plus pacifique d’ailleurs que l’excitation baveuse des diplomates et des politiciens ». La thèse de cet essai, dont je recommande vivement la lecture, est que ce qui définit le processus historique en cours, dans les années 1930 comme dans les années 1990 où il écrit, c’est le primat même de l’infini sur le fini, qui, au nom d’un déploiement qui se veut absolument illimité, cherche à abolir dans tous les domaines — économique, scientifique, culturel — les barrières éthiques, politiques et religieuses qui l’avaient jusqu’alors contenu d’une manière ou d’une autre. Et en même temps, à travers les exemples du fascisme, du nazisme et du stalinisme, Granel a montré comment un tel processus d’infinitisation et de mobilisation totale de tous les aspects de la vie sociale ne peut que conduire à l’autodestruction.


Sans entrer dans le détail de cette analyse certainement convaincante, il m’intéresse plutôt de souligner les analogies avec la situation que nous vivons actuellement. Le fait que les années 30 soient encore devant nous ne signifie pas que nous voyons les événements aberrants en question se reproduire aujourd’hui exactement sous la même forme ; cela signifie plutôt ce que Bordiga voulait dire lorsqu’il écrivait, après la fin de la Seconde Guerre mondiale, que les vainqueurs seraient les exécuteurs des vaincus. Partout, les gouvernements, quelles que soient leur couleur et leur localisation, agissent comme des exécutants de la même volonté, acceptée sans bénéfice d’inventaire. De tous côtés, on voit se poursuivre aveuglément le même processus illimité d’accroissement productif et de développement technologique que dénonçait Granel, dans lequel la vie humaine, réduite à sa base biologique, semble renoncer à toute autre inspira­tion que la vie nue et est prête à sacrifier sans réserve, comme on l’a vu au cours des trois der­nières années, son existence politique. Avec cette différence, peut-être, que les signes d’aveuglement, d’absence de pensée et d’autodestruction probable et imminente, évoqués par Granel, se sont multipliés de façon vertigineuse. Tout indique que nous entrons — au moins dans les sociétés post-industrielles occidentales — dans la phase extrême d’un processus dont la fin ne peut être prédite avec certitude, mais dont les conséquences, si la conscience des limites ne revient pas, pourraient être catastrophiques.

 

Billet publié sur le site Quodlibet, le 15 janvier 2024.


 

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Le matin

Nous projetterons un film américain des années trente, présenté par Mayette Viltard.

L’après-midi,

Xavier Leconte projettera une conférence de Jean Wahl, et montrera comment les enjeux du débat philosophique des années trente, principalement mené et soutenu par Jean Wahl, sont d’une brûlante actualité, en particulier pour la psychanalyse aujourd’hui.

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Des  articles et des livres :

Jean Wahl, Les philosophies pluralistes d’Angleterre et d’Amérique, Les Empêcheurs de Penser en Rond, mars 2005, (1920).
Vers le concret, Études d’histoire de la philosophie contemporaine, William James, Whitehead, Gabriel Marcel, Vrin, 2004, (1932).
– “Les philosophies dans le monde d’aujourd’hui”, Conférence du Collège Philosophique, Janvier 1947, in L’unebévue n°12, printemps 1999, L’opacité sexuelle II - Dispositifs, Agencements, Montages.

Le malheur dans la conscience de Hegel, Les Éditions Rieder, 1929.
William James, Introduction à la philosophie, Les empêcheurs de penser en rond, 2006. (Cité par Wahl sous son titre anglais Problems, ou Some problems of philosophy, 1911).
Philosophie de l’expérience, Un univers pluraliste, Les empêcheurs de penser en rond, 2007. (Cité par Wahl sous son titre anglais A pluralistic Universe, 1909).
Essais d’empirisme radical, Agone, 2005 (1912).
David Lapoujade, Wiliam James, Empirisme et pragmatisme, Les empêcheurs de penser en rond, 2007 [PUF 1997].

Francis Herbert Bradley, Apparence et réalité, Essais de métaphysique, Hermann, 2020 (1893)

Charles Renouvier, Les dilemmes de la métaphysique pure, Félix Alcan, 1927.
Alfred North Whitehead, Procès et réalité, Gallimard, 1929.
Mathias Girel, Relations internes et relations spatiales, James, Bradley et Green, Archives de Philosophie 69, 2006.

Jacques Lacan, De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, Seuil, 1975 (1932).

Jacques Lacan, Encore, séminaire 1972-1973.
Quentin Meillassoux, Après la finitude, Essais sur la nécessité de la contingence, Seuil, 2006. Mathieu Potte-Bonneville, Recommencer, Verdier, 2018.
Giorgio Agamben, Les années 30 sont devant nous, billet publié sur le site Quodlibet, le 15 janvier 2024.

Gilles Deleuze, “Bartleby ou la formule”, Critique et clinique, Minuit, 1993.



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Inscription sur place à 9h.

Participation aux frais pour la journée : 30 euros - tarif réduit possible.

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L’unebévue revue de psychanalyse

82 avenue de breteuil 75015 paris Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

www.unebevue.org