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communs iLes communs, un défi pour l'imagination

Sylviane Lecoeuvre

Débat avec Rosine Liénard et Mayette Viltard
Samedi 15 juin 2019

 


Au niveau du discours du maître, c'est clair. Au niveau du discours du maître, dont vous êtes - comme corps - pétris, ne vous le dissimulez pas, quelles que soient vos gambades, c'est ce que j'appellerai les sentiments et très précisément les bons sentiments.
Les bons sentiments, avec quoi ça se fait ? Ben on est bien forcé d'en venir là, au niveau du discours du maître c'est clair : ça se fait avec de la jurisprudence. Il est quand même bon de ne pas l'oublier au moment où je parle, où je suis l'hôte de la Faculté de Droit, de ne pas méconnaître que les bons sentiments, c'est la jurisprudence et rien d'autre, qui les fonde.
Lacan, ...ou pire, 21 juin 1972

 

Il n’a échappé à personne que la question du ou des commun(s) occupe depuis deux décennies au moins le devant de la scène médiatique et qu’elle est « dans l’air du temps ». Elle est devenue un sujet « tendance » sur lequel il pourrait être plaisant de surfer en attendant la vague suivante.

Cependant, l’insistance d’expériences s’en réclamant ne se dément pas. Force est de constater l’amplification d’un mouvement qui revendique ouvertement le(s) commun(s) comme mode de pensée, pratique collective et manuel de survie face aux multiples menaces autant subjectives que sociales qui accompagnent le néolibéralisme et un réchauffement climatique dont on mesure déjà visiblement les effets.

Au-delà de leurs rapports de familiarité, tous les communs sont loin d’être identiques ni même similaires. Ainsi, les choses du « patrimoine commun de l’humanité » ou res communis, ne se déclinent pas de la même manière que les communs de la connaissance, lesquels ne sont pas non plus équivalents à une grande variété de communs « résurgents ».
Détruits progressivement en Europe et totalement décimés au XVIIIe et XIXe siècle, en vertu du progrès et de la liberté, ces derniers reviennent avec un passé long d’éradication dans un présent qui leur est particulièrement hostile. Le politique est leur destin car ils sont confrontés à un milieu qui les condamne à mort.

Il existe bien une pléthore de droits pour une galaxie de communs disparates, mais l’espace d’accueil que réserve le droit occidental aux communs résurgents est beaucoup plus restreint, théoriquement très défavorable dans la mesure où leur destruction planifiée, au nom de la double souveraineté de l’État et du propriétaire privé, garantit l’existence même du droit en vigueur. Par-delà les mers, s’appuyant sur le Code Civil, les Occidentaux se consacrent à une opération bien particulière : substituer le colonialisme au commonialisme.

Il s’agit bien de mettre en lumière les tensions et la difficulté des juristes d’articuler de façon inventive le droit formel avec les exigences des communs tant il semble clair que les théoriciens du droit, en amont, s’arrogent jalousement la seule parole légitime, celle d’experts rompus à une sémantique du sacrifice et à la négation radicale d’autres possibles.

C’est à cet endroit que surgit la nécessité, non pas de refaire l’histoire, mais de conter d’autres histoires, des histoires de réappropriations.

En tant qu’habitants de la Terre, les juristes sont attendus sur les questions que ces versions autres posent au Droit.

Reste à savoir comment ils peuvent exercer sérieusement leur imagination à la hauteur des obligations que requièrent les communs.

L’expérience a montré que les juristes ne souffrent absolument pas d’un déficit en la matière et que leur inventivité est particulièrement brillante lorsqu’il est question de construire tous les dispositifs législatifs favorables aux multinationales. Pour l’existence et la vie des communs, cette imagination débordante fait d’ailleurs partie du problème

 

Quelques textes parmi tant d’autres :


Gérard Chouquer, Terres porteuses, entre faim de terres et appétit d’espace, Paris et Arles, Editions Errance et Actes Sud, 2012.
Pierre Dardot et Christian Laval, Commun, essai sur la révolution au XXI° siècle, la Découverte, 2014.
Serge Gutwirth, Isabelle Stengers, « Le droit à l’épreuve de la résurgence des commons », Revue juridique de l’envionnement, 2016/2.
Isabelle Stengers, Au temps des catastrophes - résister à la barbarie qui vient, La Découverte/ Poche, [2008], 2018.
Karl Polanyi, La grande transformation : aux origines politiques et économiques de notre temps, [1944], 2009, Tel Gallimard.
Etienne Le Roy, Histoire de la propriété - entre concurrences et convergences, www.revue-fonciere.com.
Etienne Le Roy, « La terre de l’autre, une anthropologie des régimes d’appropriation foncière, Paris, LGDJ Lextenso, 2011.
Barbara Glowczewski, Rêves en colère, Avec les Aborigènes d’Australie, Plon, 2004
Anne Querrien, « La propriété narrative », Multitude n°41, pp. 38-40.
Vinciane Despret, Ces émotions qui nous fabriquent. Ethnopsychologie des émotions, Paris, Les empêcheurs de tourner en rond, Seuil, 2001.
Elinor Ostrom, Gouvernance des biens communs, Pour une nouvelle approche des ressources naturelles, De Boeck, Bruxelles, [1990], 2010.
Garrett Hardin, La tragédie des communs, Paris, Puf, [1968], 2018.
David Bollier, La renaissance des communs, pour une société de coopération et de partage, Ed Charles Leopold Mayer, 2014.
Gilles Deleuze, Felix Guattari, Mille plateaux, Capitalisme et schizophrénie 2, Paris, Ed de minuit, 1980, pp. 528-592.
Gilles Deleuze, Felix Guattari, Qu’est-ce que la philosophie ?, Paris, Ed de minuit, 1991, 2005.
Jacques Lacan, ...ou pire, 1971-72

 


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