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39iL'UNEBÉVUE N°40 : Le senti mental

ISBN : 978-2-914596-67-1, ISSN : 1168-148X , 25€.

Comité nomade : Julio Barrera-Oro, Xavier Leconte, Françoise Jandrot.

Cahiers de l'Unebévue :  American Skeleton. Jean-Claude Molinier

L’unebévue-éditeur, 2023. (Supplément gratuit aux abonnés).


Sommaire

 

Signes vivants et poètes morts. Pier Paolo Pasolini

Le langage le plus pur qui soit au monde, et même le seul qui puisse être appelé langage tout court, c’est le langage de la réalité naturelle. Par exemple celui des rangées de peupliers, des vertes prairies et de la rivière Lambro qui m’a « parlé » près de Milan dans les dernières scènes de mon Œdipe. Ou bien la rangée d’arbrisseaux de la rue urbaine, pleine de voiture comme un garage, que le typographe de Rinascita ou du Contemporaneo a devant les yeux.

 

Voisinages des chaos. Mandelbrot, Glissant Guattari. Gérard Blikman

Édouard Glissant a pensé à sa manière, avec le monde, avec le chaos-monde, avec la théorie du chaos, notamment les fractales de Mandelbrot et les systèmes erratiques. Sa pensée archipélique est en voisinage immédiat avec les théories du chaos : du tremblement lui-même à la pensée du tremblement, il y a toute la fragilité qui renforce parfois un système erratique, en lui supposant non pas des commencements et des fins mais une sinuation. Les frontières entre les lieux qui se sont constitués en archipels ne supposent pas des murs mais des passages, des passes. Qu’est-ce qu’habiter la théorie du chaos en poète, non sans la science ? Voilà peut-être la question de Glissant, et sûrement une question reprise par Félix Guattari avec sa chaosmose.

 

A quilt for Faulkner. Pascal Tual

Créer un quilt pour prendre la parole, au-delà des images. La lecture de Faulkner ressemble à un puzzle. Il faut alors accepter de composer avec. Admettre souvent de ne pas entendre, de se perdre, voire, de ne rien y comprendre. Pour poursuivre, patiemment, il faut en découdre, bâtir, coudre, retrouver le droit fil de sa pensée, construire, pièce par pièce afin de ramasser quelques éléments de pensée et les unir en une seule pièce qui pourrait tenir debout. Le quilt s’est mis à fonctionner comme un texte qui se construit de bouts de passé faisant l’histoire d’aujourd’hui et nous projetant à demain.

 

Rupert Brooke, un amour de jeunesse de James Strachey. Gonzalo Percovich

Il a fallu plus de quatre-vingts ans pour que le public ait accès à la correspondance échangée entre Rupert Brooke, jeune poète anglais, loué par hommes et femmes pour son intelligence, mais bien plus pour sa beauté, et James Strachey. De 1905 à 1914, les lettres précisent un autre visage de Strachey, ce traducteur de Freud, visages aussi des brillants étudiants de Cambridge, Apôtres, néo-païens, Bloomsbury, organisés en sociétés plus ou moins secrètes, jeunes hommes et femmes de la haute société britannique, familiers de la psychanalyse et pratiquant une nouvelle érotique.

 

Foucault en Californie : "la plus grande expérience de ma vie". Françoise Jandrot

La dimension de l’expérience, toujours présente chez Michel Foucault, a pris un tour nouveau après son « expérience californienne » de 1975. Il refuse alors plus précisément la phénoménologie qui « cherche à ressaisir la signification de l’expérience quotidienne pour retrouver en quoi le sujet que je suis est bien effectivement fondateur, dans ses fonctions transcendantales, de cette expérience et de ces significations ». Et il affirme : « En revanche, l’expérience chez Nietzsche, Blanchot, Bataille a pour fonction d’arracher le sujet à lui-même, de faire en sorte qu’il ne soit plus lui-même ou qu’il soit porté à son anéantissement ou à sa dissolution. C’est une entreprise de dé-subjectivation ». Il critique alors ses propres livres : « J’ai essayé de repérer trois grands types de problèmes, celui de la vérité, celui du pouvoir et celui de la conduite individuelle. Ces trois domaines de l’expérience ne peuvent pas se comprendre les uns sans les autres. Ce qui m’a gêné dans les livres précédents, c’est d’avoir considéré les deux premières expériences sans tenir compte de la troisième ».

 

Virus, mot, image : Burroughs et la psychanalyse. Julio Barrera-Oro

« Dans Le Festin Nu et La Machine Molle, j'ai diagnostiqué une maladie ; dans Le Ticket qui Explosa et Nova Express un remède est suggéré » écrit Burroughs. La maladie diagnostiquée est celle d'une maladie sociale qui met les personnes dans un très grand état de dépendance, et qui permet le contrôle de celles-ci par ceux qui manipulent des virus. Le terme virus apparaît vers la fin du Festin Nu, virus associé au mot, au verbe. Cette dépendance échappe à la conscience de la plupart des gens, de là la grande difficulté à la combattre. Et les remèdes suggérés sont fondamentalement des techniques de déconditionnement pour traiter les mots et les images contaminantes. Cette décontamination est exercée par les drogues, par la littérature picaresque, par l'art au sens large, et dans une grande mesure par la psychanalyse.

 

L'inscription d'une inexistence. Le support vierge de l'icône. Jean-Claude Molinier

Méthodologiquement, Peirce part du potentiel continu (continuum de la multiplicité). Son élaboration du continu se poursuivra jusqu’au bout de son œuvre, jusqu’à la conception des « points soudés ». Ce serait dire qu’il n’y a initialement nul point posé ou supposé (comme) « existant ». Le mouvement se fait donc de l’indétermination vers la détermination, et donc aussi du continu vers le discontinu, démarche inverse de celle de Cantor. La logique trivalente de Peirce est une logique du vague à trois valeurs de vérité, notées parfois V(rai) F(aux) et L(imite), « L » étant d’abord le lieu du possible, et d’abord du contingent. Mais Peirce « ouvrira » sa logique du vague, d’abord triadique, au-delà du « trois ». Tout système au-delà d’une « triade » peut être réduit à un système de relations triadique alors qu’inversement on ne peut analyser un système de relations triadique en termes de relations dyadiques (binaires) et/ou en éléments monadiques (unaires) aussi complexe qu’en soit le système. C’est bien la difficulté sans doute rencontrée par Recanati avec les formules (encore binaires, à l’époque) de Lacan…

 

La ressemblance entre l'esprit d'un homme et une ville. Xavier Leconte

Eduardo Kohn, pour caractériser sa lecture de Peirce, le fait en « bon Peircien », en mobilisant les catégories de priméité et de secondéité, mais il affirme l’importance qu’il attache, dans sa propre lecture, à la secondéité. La secondéité est faite des surprises que nous réserve le monde, de ce que l’on pourrait appeler des chocs de secondéité, des moments au cours desquels l’extériorité du monde surgit, nous surprend. Cette extériorité ne se révèle pas dans la tranquillité d’une représentation du monde. L’extériorité n’est pas donnée comme telle. Lorsque William Carlos Williams voit le géant Paterson endormi, il faut concevoir que c’est un choc. Le paysage de la ville, offert dans l’habitude d’une perception, devient quelque chose comme les rêves de Paterson endormi. Si c’est une ressemblance, c’est une ressemblance en tant que remarquée, qui surgit comme un choc, une ressemblance qui saute aux yeux, qui n’est plus un signe iconique, mais déjà l’indice de quelque chose qui arrive, du poème qui s’ouvre. L’« esprit » est soudain dans l’extériorité du monde, on pourrait dire que le monde devient extérieur, ce que Peirce appelait plus haut la « paroisse des percepts ». Eduardo Kohn évoque à ce propos l’« inimitable sens de l’humour du monde » dont parle Donna Haraway. « C’est dans ces moments de “choc ” que les habitudes du monde deviennent manifestes. Nous ne remarquons généralement pas les habitudes que nous habitons ».

 

Le langage des traversées mutantes. Camille Métaformix

« Que s’est-il passé ? La vie, et je suis vieux » écrit Simone de Beauvoir en 1970 dans son avant-dernier essai de plus de 800 pages, La Vieillesse. « Devant l’image que les vieilles gens nous proposent de notre avenir, nous demeurons incrédules ; une voix en nous murmure absurdement que « ça » ne nous arrivera pas : ce ne sera plus nous quand « ça » arrivera. Avant qu’elle ne fonde sur nous, la vieillesse est une chose qui ne concerne que les autres. Ainsi peut-on comprendre que la société réussisse à nous détourner de voir dans les vieilles gens nos semblables. C’est l’exploitation des travailleurs, c’est l’atomisation de la société, c’est la misère d’une culture réservée à un mandarinat qui aboutissent à ces vieillesses déshumanisées. Elles montrent que tout est à reprendre, dès le départ. C’est pourquoi la question est si soigneusement passée sous silence : je demande à mes lecteurs de m’y aider ».