560150bw.png

39iL'UNEBÉVUE N°39 : La nuée du langage

ISBN : 978-2-914596-64-0, ISSN : 1168-148X , 146 pages, 22€.

 

Comité nomade : Julio Barrera-Oro, Marie Jardin.

Cahiers de l'Unebévue :  À la rencontre de l'univers. K Barad Tome 3 Le réalisme agentiel

L’unebévue-éditeur, 2022. (Supplément gratuit aux abonnés).

 

 


Sommaire

 

La nuée du langage. Jacques lacan

– Pourquoi il est comme ça ? demanda Junior. Pourquoi faut-il toujours qu’il raconte des trucs bizarres ? Bordel, il a même pas besoin de prendre des drogues.
– Certains disent qu’on l’a lâché et qu’il est tombé sur la tête quand il était petit, quelques Anciens disent qu’il est magique. – Qu’est-ce que tu penses toi ? – Je pense qu’il est tombé sur la tête et je pense qu’il est magique

...9

Songe d'une nuit d'hiver. Une histoire de bord de Loire. Élise Cressely

Le penser sylvestre, la sorte de penser que fabriquent les forêts, la sorte de penser qui nous relie au reste de la vie, est essentiellement une forme imagiste (imagistic) de pensée. Souvent, vous ne vous demandez pas si un esprit est réel, vous vous demandez comment les gens le comprennent comme étant réel. Ce sont deux questions très dif- férentes. Dans cette veine le titre de mon livre aurait du être « Comment les Runa pen- sent les forêts », et non pas « Comment pensent les forêts ». Dans mon travail il est très important d’essayer de parvenir à une certaine fermeture conceptuelle. Penser sémiotiquement à propos de la pensée sylvestre m’aide à comprendre les choses d’une nouvelle manière. Je peux parler en termes très précis des propriétés sémiotiques des choses et je peux travailler avec ces propriétés.

...11

Un rêve grammatical. Une remarque de grammaire onirique. Jean-Claude Dumoncel

Quand Hiroshima a été détruit par une bombe atomique en 1945, la première chose vivante à émerger du paysage soufflé fut le champignon matsutake. L’indétermination joue un rôle essentiel dans la diversité contaminée. Raconter des histoires est une méthode qui bouscule, et pourquoi ne serait-ce pas une science à ajouter au panel de la connaissance ? Cette science aurait comme objet de recherche la diversité contaminée, son unité de base serait la rencontre indéterminée qui uti- lise l’ethnographie et l’histoire naturelle. Ces histoires ne peuvent pas être résumées, elles ne sont pas scalables.

...19

Réveiller les Esprits de la Terre. Rencontre à l'Échangeur. Barbara Glowczewski

On a ce préjugé, cette espèce de caricature des chasseurs-cueilleurs nomades – sou- vent rapprochés de populations préhistoriques dans une vision évolutionniste de l’histoire – que la culture authentique serait celle qui a été perdue avec la colonisa- tion. Or, la leçon justement de ce rapport à une nostalgie existentielle profonde, qui est la nostalgie du territoire existentiel de Guattari et Deleuze, la nostalgie de la déterritorialisation, c’est la valorisation de cette nostalgie-là, par rapport au refus d’être dans une nostalgie d’un temps d’avant qui serait immobile dans la répétition, c’est essentiel. Si on accepte ici dans les théâtres, dans les expositions, que la culture occidentale doive toujours inventer, créer, innover, pourquoi est-ce que les peuples autochtones n’auraient pas une valeur culturelle en tant que créateurs de leur propre culture, qui change dans certains cas, pour des Aborigènes qui sont en Australie depuis 60000 ans, en s’adaptant à des transformations inouïes du paysage ?

...23

L'indien le plus coriace au monde. Sherman Alexie

Traduit de l'américain par Nicolas Plachinski

« Ils te feront la peau s’ils en ont l’occasion », disait mon père. « Qu’ils t’aiment ou qu’ils te détestent, les blancs te tireront une balle en plein cœur. Même après toutes ces années, ils peuvent encore sentir le saumon sur toi, le saumon mort, et ça, ça rend les blancs dangereux ».
Nous tous, Indiens et blancs sommes hantés par le saumon. Lorsque j’étais un petit garçon, je me penchais au bord d’un barrage au hasard, – peut-être celui de Long Lake ou de Little Falls ou encore celui du grand dragon gris qui s’appelait aussi le Grand Coulee – et je regardais les esprits des saumons qui s’élevaient de l’eau vers le ciel et devenaient des constellations. Pour la plupart des Indiens, les étoiles ne sont que des pierres tombales blanches dispersées dans un cimetière obscur.

...45

William Burroughs, six actes de magie. Julio Barrera-Oro

« Toute mon œuvre est orientée contre ceux qui sont disposés, délibérément ou par stupidité, à faire sauter la planète ou la rendre inhabitable » écrit William Burroughs, qui affirme maintes et maintes fois que l’art en général, et la littérature en particulier, sont d’origine magique. Et il se pourrait bien que cela ait quelque rapport avec sa conception, sa connaissance et sa pratique de la psychanalyse.

...61

Un air sur trois notes à propos de Foucault en Californie. François Dachet

« Si mes souvenirs sont exacts, je dois la première grande secousse culturelle à des musiciens sériels et dodécaphonistes français – comme Boulez et Barraqué – aux- quels j’étais lié par des rapports d’amitié. Ils ont représenté pour moi le premier accroc à cet univers dialectique dans lequel j’avais vécu » déclarait Michel Foucault en 1969.

...81

Déplacer LES montagnes. Marie Jardin

Rien, ni au début, ni à la fin. La vallée encaissée et grise est découpée en tranches. Les plastics et les bâches, fleurs d’avenir, se sont épanouis autour des arbres fracassés. D’énormes pylônes s’élèvent déjà très haut, prochains supports d’autoroutes élégants reliant les deux cotés de la montagne. Les turbines tourbillonnent là où elles sont installées. Des hommes transportent des décombres dans des paniers sur leur dos. Certains ont mis des foulards sur leur visage et parfois portent des casques. Une vache toute maigre et brune se faufile.

...101

De la gestion technocratique des vivants et des morts. Françoise Jendrot

« Que s’est-il passé ? La vie, et je suis vieux » écrit Simone de Beauvoir en 1970 dans son avant-dernier essai de plus de 800 pages, La Vieillesse. « Devant l’image que les vieilles gens nous proposent de notre avenir, nous demeurons incrédules ; une voix en nous murmure absurdement que « ça » ne nous arrivera pas : ce ne sera plus nous quand « ça » arrivera. Avant qu’elle ne fonde sur nous, la vieillesse est une chose qui ne concerne que les autres. Ainsi peut-on comprendre que la société réussisse à nous détourner de voir dans les vieilles gens nos semblables. C’est l’exploitation des travailleurs, c’est l’atomisation de la société, c’est la misère d’une culture réservée à un mandarinat qui aboutissent à ces vieillesses déshumanisées. Elles montrent que tout est à reprendre, dès le départ. C’est pourquoi la question est si soigneusement passée sous silence : je demande à mes lecteurs de m’y aider ».

...109

Albin et Serena. Frantz Succab

Albin-boulanger nous procurait notre pain quotidien ; mais si l’on fait la part entre son métier qu’il exerçait avec conscience et le reste, il n’avait montré qu’un seul don dans sa vie, celui de disparaître. Alors comme ça, souvament, disparaître prend Albin, fap. Comme soudainement la nuit s’empare du ciel, de la montagne, des arbres, de tout, pour les plonger en présence invisible, un là-sans-là, jusqu’à ce que l’aube les amènent-venir, là, sous nos yeux, à une autre présence inondée de soleil.

...137