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PLACE PUBLIQUE 2025

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Ce travail sur Moïse est comparable à une danseuse faisant des pointes.

Freud, Londres, juin 1938

Intervention - débat par Mayette Viltard

samedi 18 janvier de 9h à 16H30

à L'Agora 64, rue du Père Corentin  Paris 75014
Métro ligne 4 Porte d'Orléans, Bus 38 & 92, Tram T3a
 

  Argument

Deuxième introduction à Moïse et le monothéisme

Pendant la rédaction de cette étude sur Moïse des difficultés particulièrement grandes - scrupules intérieurs aussi bien qu'entraves extérieures - ont pesé sur moi. C'est pour cette raison que la troisième et dernière partie de mon travail est précédée de deux avant-propos qui se contredisent et même s'annulent l'un l'autre. En effet, durant le temps très court qui a séparé les deux introductions, les conditions de vie de l'auteur ont changé du tout au tout. A l'époque de mon premier avant-propos, je vivais sous la protection de l'Église et redoutais, en publiant mon livre, de perdre cette sauvegarde. Je craignais également de susciter une interdiction de travailler qui frapperait tous les praticiens et tous les élèves psychanalystes d'Autriche. Puis, soudain, ce fut l'invasion allemande et le catholicisme montra qu'il était bien, suivant l'expression biblique, « un roseau flexible ». Certain d'être persécuté non seulement à cause de mes opinions, mais aussi à cause de ma « race », je quittai, avec beaucoup de mes amis, la ville que depuis ma plus tendre enfance, et pendant 78 ans, j'avais considéré comme ma patrie. J'ai trouvé dans la belle, libre et généreuse Angleterre l'accueil le plus amical. C'est là que je vis maintenant, traité en hôte bienvenu, je respire loin des oppresseurs, libre de lire et d'écrire, j'aurais presque dit de penser, comme je l'entends ou comme je le dois. J'ose enfin publier la dernière partie de mon essai. Plus d'obstacles devant moi, du moins plus d'obstacles effrayants. Depuis les quelques semaines que je réside ici, j'ai reçu d'innombrables lettres d'amis qui m'exprimaient leur satisfaction de me savoir à Londres, d'inconnus et même de personnes tout à fait étrangères à mes travaux qui voulaient simplement me dire le plaisir qu'elles éprouvaient de ce que j'aie ici trouvé la sécurité et la liberté. Avec une fréquence bien surprenante aux yeux d'un étranger, je reçus aussi un autre genre de lettres, celles où l'on se montrait préoccupé du salut de mon âme, où l'on m'indiquait les voies du Seigneur en cherchant à m'éclairer sur l'avenir d'Israël. Les braves gens qui m'ont écrit ces lettres ne pouvaient savoir beaucoup de choses à mon sujet, toutefois, je m'attends bien à perdre la sympathie d'un grand nombre de ces correspondants -et de certains autres aussi - le jour où la traduction de cet ouvrage sur Moïse sera connue de mes nouveaux concitoyens. En ce qui concerne mes difficultés intérieures, ni les vicissitudes politiques, ni le changement de résidence n'y purent rien changer. Maintenant comme alors je doute de mon propre travail et ne me sens pas, comme tout auteur devrait l'être, en étroite communion avec mon Oeuvre. Ce n'est pas que je ne sois convaincu de la justesse de mes déductions, depuis un quart de siècle, depuis « Totem et Tabou » (1912) je n'ai pas changé d'opinion. Bien au contraire, ma conviction n'a fait que s'affirmer. Je demeure persuadé que les phénomènes religieux sont comparables aux symptômes névrotiques individuels, symptômes qui nous sont bien connus en tant que répétitions d'événements importants, depuis longtemps oubliés, survenus au cours de l'histoire primitive de la famille humaine. C'est de cette origine, justement, que les phénomènes tirent leur caractère obsédant et c'est à la part de vérité historique qu'ils contiennent qu'ils doivent leur action sur les hommes. Ce n'est qu'à propos de l'exemple que j'ai choisi, celui du monothéisme juif, que mon incertitude apparaît et que j'en viens à me demander si j'ai bien réussi à soutenir ma thèse. A mon sens critique, ce travail sur Moïse semble comparable à une danseuse qui fait des pointes. Si je n'avais pu m'appuyer sur les interprétations analytiques du mythe de l'abandon aux eaux, et si je n'avais eu la possibilité de passer de là aux suggestions de Sellin concernant la fin de Moïse, je n'aurais pas écrit ce travail. Quoi qu'il en soit le sort en est maintenant jeté.

Freud, Londres, juin 1938

 

Penser avec le monde autre-qu’humain montre que ce que les humains partagent avec tous les êtres vivants est le fait que nous vivons tous avec et à travers des signes. La vie est constitutivement sémiotique.

Donna Haraway, Quatrième de couverture de l’édition américaine de Comment pensent les forêts d’Eduardo Kohn

 

Pour étudier comment les molécules sont devenues des signes, je poserai la question suivante : "Quel type de processus est nécessaire et suffisant pour traiter une molécule comme un signe ?" L'implication de cette analyse est un renversement du dogme actuel de la biologie moléculaire et évolutive qui traite les molécules comme l'ADN et l'ARN comme les sources originales de l'information biologique. Je soutiens au contraire que les caractéristiques structurelles de ces molécules ont fourni des possibilités sémiotiques dont la dynamique interprétative des virus et des cellules a tiré parti. Ces molécules ne sont pas la source de l'information biologique, mais plutôt des artefacts sémiotiques sur lesquels les contraintes fonctionnelles dynamiques ont été progressivement déchargées au cours de l'évolution.

Terrence Deacon, How molecules became Signs

 

Toutefois les recherches analytiques ont mis au jour d'autres données d'une bien plus grande portée que les précédentes. En étudiant les réactions aux traumatismes précoces, nous sommes fréquemment surpris de constater quelles ne tiennent pas exclusivement aux événements vécus, mais qu'elles en dévient d'une façon qui conviendrait bien mieux au prototype d'un événement phylogénique; elles ne s'expliqueraient que par l'influence de cette sorte d'événements. Le comportement d'un enfant névrosé à l'égard de ses parents quand il subit l'influence des complexes d'Oedipe et de castration présente une multitude de réactions semblables qui, considérées chez l'individu, paraissent déraisonnables et ne deviennent compréhensibles que si on les envisage sous l'angle de la phylogénie, en les reliant aux expériences faites par les générations antérieures.

Il serait très intéressant de rassembler et de publier les faits auxquels je fais ici allusion. Ces faits semblent assez convaincants pour me permettre d'aller plus loin encore en prétendant que l'hérédité archaïque de l'homme ne comporte pas que des prédispositions, mais aussi des contenus idéatifs, des traces mnésiques qu'ont laissées les expériences faites par les générations antérieures. De cette manière la portée aussi bien que la signification de l'hérédité archaïque se trouveraient accrues de façon notable.

A y bien réfléchir, avouons que nous avons discuté depuis longtemps comme si la question d'une existence de résidus mnésiques des expériences faites par nos ancêtres ne se posait pas tout à fait indépendamment de la communication directe ou des effets de l'éducation, par exemple. Quand nous parlons de la persistance, chez un peuple, d'une tradition ancienne, de la formation d'un caractère national, c'est à une tradition héréditaire et non à une tradition oralement transmise que nous pensons. Tout au moins ne distinguons-nous pas entre les deux et, ce faisant, nous ne nous rendons pas compte de l'audace que cette négligence implique.

Cet état de choses s'aggrave encore, il est vrai, du fait de la biologie qui, à l'heure actuelle, nie absolument l'hérédité des qualités acquises. Avouons, en toute modestie, que malgré cela, il nous paraît impossible de nous passer de ce facteur quand nous cherchons à expliquer l'évolution biologique. Il est vrai que les deux cas ne sont pas tout à fait identiques ; dans l'un, il s'agit de qualités acquises difficiles à concevoir, dans l'autre, de traces mnésiques d'impressions du dehors, c'est-à-dire de quelque chose de presque concret. Mais sans doute nous est-il, au fond, impossible d'imaginer l'un sans l'autre.

En admettant que de semblables traces mnésiques subsistent dans notre hérédité archaïque, nous franchis- sons l'abîme qui sépare la psychologie individuelle de la psychologie collective et nous pouvons traiter les peuples de la même manière que l'individu névrosé. Tout en admettant que nous n'avons comme preuves de ces traces mnésiques dans notre hérédité archaïque que les manifestations recueillies au cours des analyses, manifestations qui doivent être ramenées à la phylogenèse, ces preuves nous paraissent cependant suffisamment convaincantes pour nous permettre de postuler un pareil état de choses. S'il n'en est pas ainsi, renonçons donc à avancer d'un seul pas dans la voie que nous suivons, aussi bien dans le domaine de la psychanalyse que dans celui de la psychologie collective. L'audace est ici indispensable.

Ce postulat nous amène plus loin encore : en l'adoptant nous diminuons la largeur du gouffre que l'orgueil humain a jadis creusé entre l'homme et l'animal. Si ce qu'on appelle l'instinct des bêtes, cet instinct qui leur permet de se comporter dans une situation nouvelle comme si elle leur était déjà familière, peut être expliqué, ce sera de la façon suivante : les animaux profitent dans leur nouvelle existence de l'expérience acquise par leur espèce, c'est-à-dire qu'ils gardent en eux-mêmes le souvenir de ce qu'ont vécu leurs ancêtres. Chez l'animal humain, les choses se passent sans doute de la même façon. Son hérédité archaïque, bien que différente par son expansion et son caractère, correspond aux instincts des animaux.

Ceci étant posé, je n'hésite pas à affirmer que les hommes ont toujours su qu'ils avaient un jour possédé et assassiné un père primitif.

Freud. Moïse


... ce mythe d’Œdipe, enfin il y avait là un os. Totem et Tabou, dont il faut tout de même bien dire que, il faudrait... Je sais pas moi si vous voulez que je le fasse cette année... étudier sa composition, qui est une des choses les plus tordues qu’on puisse imaginer ! C’est tout de même pas parce que je prêche le retour à Freud, que je ne peux pas dire que Totem et Tabou, c’est tordu. C’est même pour ça qu’il faut retourner à Freud : c’est pour s’apercevoir que si c’est tordu comme ça, étant donné que c’était quand même un gars qui savait écrire et penser, ça devait avoir une raison d’être. Je ne vais pas ajouter « Moïse et le monothéisme n’en parlons pas », parce qu’au contraire on va en parler.

Surtout qu’il tient beaucoup à ce que ça se soit passé, cette sacrée histoire du meurtre du père de la horde, vous savez là, cette pitrerie darwinienne : le père de la horde, comme s’il y en avait jamais eu la moindre trace du père de la horde, on a vu des orangs-outangs [Rires], mais le père de la horde humaine on n’en a jamais vu la moindre trace ! En tous cas Freud tient à ce que ça soit réel, hein ça, ça il y tient ! Il a écrit tout Totem et Tabou pour dire ça : que ça s’est forcément passé et que c’est de là que tout a démarré, à savoir tous nos emmerdements, y compris celui d’être psychanalyste... C’est frappant !

Le comble du comble c’est le « Moïse... ». Pourquoi faut-il que Moïse ait été tué ? Il nous l’explique, le plus fort ! C’est pour qu’il revienne dans les prophètes ! Par la voie sans doute du refoulement, comme ça de la transmission mnésique à travers les chromosomes, il faut bien l’admettre. Ça, je dois dire que la remarque qu’un imbécile comme Jones fait, que il [Freud] ne semble ne pas avoir lu Darwin, est juste. Il l’a pourtant lu puisque c’est sur Darwin qu’il se fonde pour faire le coup de « Totem et Tabou ». Enfin, il est bien certain que ce n’est quand même pas pour rien que « Moïse et le monothéisme » c’est comme le reste de tout ce qu’écrit Freud : c’est absolument fascinant !

Lacan L’envers de la psychanalyse 1970


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Le matin nous projetterons un film qui contribue à nos interrogations à propos de l’importance que Lacan donne au signe dans la pratique de la psychanalyse freudienne.

 L’après-midi, le débat se développera sur la base de de quelques textes freudiens et lacaniens sur les liens de la pulsion et de la représentation, du refoulement originaire et de l’héritage archaïque du lien individuel-collectif, et de nos chers héritages pollués, pour parler comme Donna Haraway.

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Des  articles et des livres :

Sigmund Freud

Le refoulement 1915

Pulsions et destins des pulsions 1915

Au-delà du principe de plaisir. 1920.

L’homme Moïse et la religion monothéiste.1938. Gallimard.

Jacques Lacan

L’envers de la psychanalyse, 1969-70.

La troisième, 1974.

Donna Haraway

Quand les espèces se rencontrent, trad. Fleur Courtois-L'heureux, Paris, La découverte, 2021.

Terrence deacon

« how Molecules became signs », Biosemiotics (2021) 14:537–559.

 


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Inscription sur place à 9h.

Participation aux frais pour la journée : 30 euros - tarif réduit possible.

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L’unebévue revue de psychanalyse

82 avenue de breteuil 75015 paris Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

www.unebevue.org