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CZ2020_MarseilleLe futur vivant

et l'impondérable poids des morts

les 10 & 11 octobre 2020

Hotel Radisson Blu Port 38-40 quai Rive Neuve. Marseille 13007

Samedi de  9H à 18H et dimanche de 9H30 à 16H

 

 

 


Eduardo Kohn,Comment pensent les fôrets, chapitre 6.

 

Ce que Peirce appelle le futur vivant ne peut se comprendre sans réfléchir aux liens particuliers que la vie entretient avec tous les morts qui la rendent possible. C’est en ce sens que la forêt est aussi une forêt hantée. Cette façon qu’elle a d’être hantée permet de saisir ce que j’entends quand je dis que les esprits sont réels.

Tous les signes impliquent une relation avec quelque chose qui n’est pas présent. Les icônes font cela d’une manière fondamentale pour leur être. La vie, en tant qu’elle est intrinsèquement sémiotique, a partie liée avec l’absence. Ce qu’est un organisme-dans-un-lignage vivant, en-continuité-de-je – pour utiliser le concept amazonien – est le produit de ce qu’il n’est pas. Il est intimement lié aux nombreux lignages absents qui n’ont pas survécu

Les vivants, ce sont ceux qui continuent à potentiellement perdurer dans la forme et hors du temps, grâce aux relations qu’ils entretiennent avec ce qu’ils ne sont pas. J’insiste sur le déplacement logique : l’accent est mis sur ce qui n’est pas présent : le « poids » impondérable (je crois que l’oxymore traduit le caractère contre-intuitif de cette idée) des morts.

La vision chamanique modifie ce que voir signifie.

 

 

Vinciane Despret

 

Je commande Au bonheur des morts depuis le train et je tombe sur la préface de Penser comme un rat qui raconte comment Vinciane Despret se souvient d’une scène où, petite fille de 8 ans, elle regarde le jardin à travers les vitraux colorés de l’escalier et entend le chant du ramier, signe pour elle de l’arrivée du printemps. Des années plus tard elle apprend que le ramier chante toute l’année. Alors pourquoi ne l’entend-t-elle qu’au printemps ?

Morizot dit que le pistage, « c’est lever les signes », on a le sentiment énigmatique lorsqu’on piste, de s’être déplacé dans le corps de l’animal, ça revient de temps en temps et pas à volonté.

 

 

Lacan, 11 juin 1974, Les non-dupes errent.

 

« Je vous le donne en mille: j'ai été à Milan à un congrès de sémiotique. Ça c'est extraordinaire.

« Cette sémiosis patinante chatouille le corps dans la mesure où il n'y a pas de rapport sexuel

« Cette jouissance dont vous voyez qu'en vous la présentant comme phallique, je l'ai qualifiée de façon équivalente comme sémiotique, bien sûr, c'est évidemment parce qu'il me paraît tout à fait grotesque de l'imaginer ce phallus, dans l'organe mâle. C'est quand même bien ainsi que dans le fait que révèle l'expérience analytique, il est imaginé.

« Un corps, mon Dieu, c'est fait pour qu'on ait le plaisir de lever un bras et puis l'autre, et puis de faire de la gymnastique, et de sauter, et de courir, et de tirer, et de faire tout ce qu'on veut.

« Le sens, il faut le dire, le sens comme ça quand on ne le travaille pas, eh bien, il est opaque. La confusion des sentiments, c'est tout ce que lalangue est faite pour sémiotiser.

« Lalangue a le même parasitisme que la jouissance phallique, par rapport à toutes les autres jouissances. Et pourquoi pas, pourquoi pas parler de ce que lalangue serait en rapport avec la jouissance phallique comme les branches à l'arbre. Et alors, disons que lalangue, n'importe quel élément de lalangue. c'est, au regard de la jouissance phallique, un brin de jouissance. Et c'est en ça que ça étend ses racines si loin dans le corps.

« Cette espèce de mise en covibration sémiotique, en fin de compte, c'est pas étonnant qu'on appelle ça comme ça pudiquement le transfert.

« Il y a une chose très très astucieuse qui est notée dans Peirce. Pouvons-nous de la relation supporter ce qui s'exprime dans la voie active ou passive du verbe ? C'est pas parce qu'on aime qu'on est aimé. Je n'ai jamais osé dire une chose pareille. L'essence de la relation, ça veut simplement dire que quand on aime on est fait énamoré. Au niveau du sens en tout cas, c'est absolument clair, le savoir, c'est ce qui est su.

 

 

Extraits de Une drogue qui s’appelle tradition

 

« Nom de Dieu Thomas », hurla Junior. « Comment se fait-il que ton frigosoit toujours vide bordel ! »
Thomas se dirigea vers le réfrigérateur, vit qu’il était vide, puis s’assit à l’intérieur.
« Voilà », dit Thomas. « Maintenant il n’est plus vide ».
Tout le monde dans la cuisine se tapa le cul par terre. C’était la deuxième plus grande fête de l’histoire
de la réserve et Thomas Builds-the-Fire était l’hôte. Et il venait juste de recevoir un paquet d’argent de
la centrale hydraulique de Washington parce qu’ils avaient du payer la location d’une terre dont
Thomas avait hérité afin d’y installer une dizaine de pylônes électriques.
Lorsque les Indiens se font beaucoup d’argent sur le dos des grosses entreprises de cette manière, on
peut tous entendre nos ancêtres qui rient dans les arbres. Mais on ne peut jamais dire s’ils se moquent
des Indiens ou des Blancs. Je pense qu’ils se moquent bien de tout le monde.
« Hé Victor », dit Junior. « Il paraît que tu as des champignons hallucinogènes ».

[…]

 L’effet de la drogue commençait à se dissiper. Tout ce que j’arrivais à voir dans ma vision de Junior,
c’était sa guitare. Junior sortit une canette de Pepsi Light tiède et on se la passa à tour de rôle en regardant
Thomas qui parlait tout seul.
« Il se raconte des histoires », dit Junior.
« Bah », dis-je. « Y a personne d’autre pour les écouter ».
« Pourquoi il est comme ça ? » demanda Junior. « Pourquoi faut-il toujours qu’il raconte des trucs
bizarres ? Bordel, il a même pas besoin de prendre des drogues ».« Certains disent qu’on l’a lâché et
qu’il est tombé sur la tête quand il était petit, quelques Anciens disent qu’il est magique. Qu’est-ce que
tu penses toi » ?
« Je pense qu’il est tombé sur la tête et je pense qu’il est magique ».
On s’est marrés et Thomas a levé la tête, loin de l’eau, de ses histoires et nous a souri.
« Hey », dit-il. « Vous deux, vous voulez écouter une histoire ? »

[…]

Plus tard dans la journée nous étions garés devant l’épicerie de la réserve, nous racontions des ragots
et des histoires pour rigoler, lorsque Big Mom s’approcha de la voiture. Big Mom était la chef spirituelle
de la tribu Spokane. Elle avait tellement de sagesse qu’elle aurait bien pu être celle qui créa la Terre.
« Je sais ce que vous avez vu », dit Big Mom.
« On a rien vu du tout », dis-je, mais tout le monde savait que je mentais.
Big Mom me sourit, elle secoua un peu la tête et me tendit un petit tambour. On aurait dit qu’il avait une
centaine d’années, peut-être plus. Il était si petit qu’il pouvait tenir dans ma main.
« Garde-le bien », dit-elle. « Au cas où ».
« Au cas où quoi ? » demandai-je.
« C’est mon bip. Tu tapes légèrement dessus et j’arrive illico », dit-elle, puis elle partit en riant.
Et bien, je dois vous dire que je ne me suis jamais servi de ce machin. En fait Big Mom est morte il y
a quelques années et je ne crois pas qu’elle viendrait même si ce truc marchait vraiment. Mais je le
garde sur moi, comme l’a dit Big Mom, au cas où. Je crois qu’on pourrait appeler ça mon unique religion
: un tambour qui tient dans ma main, mais je crois que si j’en jouais un petit peu, il pourrait bien
résonner dans le monde entier.


Extraits de Une drogue qui s’appelle tradition, nouvelle-poème de Sherman Alexie, native américain Spokane.
Traduit par Nicolas Plachinski pour L’unebévue N°38.



 

Intervenants :

 

Michèle Duffau - Marie- France Basquin - Mayette Viltard - Marie Jardin - Françoise Jandrot - Luc Parisel - Xavier Leconte - Julio Barrera-Oro - Ninette Succab - Marie-Magdeleine Lessana - Colette Assouly-Piquet - Rosine Liénard - Anne Marie Ringenbach - Anne-Marie Vanhove - François Dachet- -Claude Mercier - Jean-Hervé Paquot

 

Quelques livres :

 

Vinciane Despret , Habiter en oiseau, Acte Sud, collection « Mondes sauvages ».

Au bonheur des Récits de ceux qui restent, La découverte, 2015.

Penser comme un rat, éditions Quæ,

Didier Debaise, « L’intensification de l’expérience », in D. Debaise et I. Stengers, eds, Gestes spéculatifs, Presses du Réel, 2015

Isabelle Stengers, Réactiver le sens commun. Lecture de Whitehaed en temps de débâcle. La Découverte/ Les empêcheurs de penser en rond, 2020.

Eduardo Kohn, « Le futur vivant (et l’impondérable poids des morts) », Chapitre 6 de Comment pensent les forêts, Vers une anthropologie au-delà de l’humain, Bruxelles, Zones Sensibles, 2017.

Eduardo Kohn, « Penser sémiotiquement », traduit par Xavier Leconte, in L’unebévue N°38, octobre 2020.

Jacques Lacan, séance du 11 juin 1974, Les non-dupes errent.

Encore.

Ferenczi, Thalassa, petite bibliothèque Payot Stefan Zweig, La confusion des sentiments, poche.

Donna Haraway, Vivre avec le trouble, les éditions des mondes à faire, 2020.

 

 

Inscriptions sur place à 9h.

 

Formation permanente 275€. À titre individuel 100€. Tarif réduit 50€
CLINIC ZONES 212 avenue du Maine, 75014 PARIS - Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Direction et coordination : Anne Marie Ringenbach, Mayette Viltard.